Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

 

Quelles que soient les diverses biographies d'Arthur Rimbaud, le nom de son frère aîné, Frédéric, n'y apparaît guère. Quant à leur mère, les rimbaldiens la dépeignent comme une femme pieuse, sévère et exigeante, alors qu'elle fut plutôt « une marâtre clanique ».

C'est après avoir entendu Pierre Michon évoquer l'existence de la « vie minuscule » de Frédéric que le journaliste David Le Bailly s'est lancé dans une longue enquête. Pourquoi a-t-on occulté le frère aîné d'Arthur ? Pourquoi a-t-il disparu de la photo des deux garçons en communiants ? En se fondant sur de nombreuses sources et après s'être rendu dans les Ardennes le journaliste met au jour la puissance malfaisante du clan Rimbaud et la part d'ombre du célèbre poète.

 

Née Vitalie Cuif, riche propriétaire des terres familiales, la mère avait épousé Frédéric Rimbaud, capitaine d'infanterie qui fut fait officier de la légion d'honneur. Mais en raison du caractère irascible et dominateur de son épouse il avait quitté le domicile conjugal. Abandonnée par son mari, craignant que ses fils ne tournent mal comme leurs oncles maternels, elle les avait élevés seule à coup de punitions et de privations. Toute leur enfance les deux garçons partagèrent la même complicité et la même révolte contre leur mère. Mais elle préférait Arthur, le bon élève, et renia Frédéric quand il choisit l'armée comme son père qu'il admirait. Elle fit tout pour l'empêcher d'épouser Blanche, une fille de modeste origine, une « souillon » selon la mère, mais en vain. Cette femme acariâtre était en guerre contre tous, y compris ses voisins d'extraction modeste. Seule la cadette, Isabelle était restée sous son emprise ; elle l'avait formée à son image. Mais Arthur se tut à vingt ans et le lien fraternel se brisa. Enfui à Aden, négociant au Harrar, le poète ne chercha plus à « se faire voyant ». Dans ses lettres il comparait sa vie à « un réel cauchemar » de misère et d'errance ; toujours à cours d'argent, sa mère cédait à ses demandes. Soucieux de l'intérêt économique de la famille, il s'opposa au mariage de Frédéric, « un parfait idiot » écrit-il à sa mère. En méprisant son frère, le poète a contribué à le bannir. Pourtant, même si elle adorait Arthur, elle préféra s'occuper de ses récoltes plutôt que de rester près de lui après qu'il eut été amputé d'une jambe. Et à Marseille elle ne lui dit même pas adieu alors qu'elle le savait condamné !

 

De leur côté Frédéric et Blanche s'entendaient mal. Elle quitta le domicile, leurs trois enfants furent mis en pension. Néanmoins Frédéric « utile et estimé » s'investit dans la vie locale à Attigny. Simple conducteur d'omnibus il se mit à boire et mourut d'un accident de carriole un soir d'ivresse. Ainsi vécut-il, renié par sa mère, méprisé par son frère, spolié par sa sœur. Avec Berrichon qu'elle épousa en 1897 ces deux faussaires inventèrent la légende d'Arthur comme « le roman d'un prophète ». Lui écrivit la première biographie du poète, elle évinça de la publication les poèmes les plus choquants selon la bonne morale chrétienne. Elle s'attribua officiellement la propriété des œuvres d'Arthur et des droits d'auteur Frédéric ne toucha rien. Il n'accordait d'importance ni au patrimoine familial ni à sa propre réussite sociale : on l'a donc renié.

 

Cette enquête corrige l'image que la plupart des rimbaldiens ont donné de cette famille dont le moteur fut bien cette mère castratrice, autant femme de devoir que propriétaire soucieuse de ses intérêts. Cette enquête dévoile aussi la part d'ombre du célèbre poète qui, exilé aux confins de l'Arabie, devint à son tour un « raté ».

 

David Le Bailly. L'autre Rimbaud.  L'Iconoclaste, 2020, 371 pages.

 

Chroniqué par Kate

 

 

 

Tag(s) : #ESSAIS, #LITTERATURE FRANÇAISE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :