Connaissez-vous l'île Clipperton ? Perdue en plein océan Pacifique à un millier de milles nautiques d'Acapulco, c'est un atoll d'origine volcanique qui est supposé apporter une vaste zone économique exclusive à la France.
Dans ce roman heureusement narré de manière non-chronologique, la mexicaine Ana Garcia Bergua décrit une île qui se trouve au cœur d'une tragédie fondée sur des événements réels : au début du XXe siècle l'armée mexicaine y envoie une petite garnison tandis qu'une entreprise nord-américaine s'y est implantée pour exploiter le guano source de phosphate.
L'île aux fous c'est donc d'abord une histoire d'oiseaux. Les fous qui la peuplent ne semblent nullement dérangés par les hommes venus du continent alors qu'auparavant l'île était inhabitée.
Mais c'est bien davantage l'histoire de la folie des hommes. Après des débuts problématiques dans l'armée, Raul Soulier est envoyé occuper l'atoll et défendre les couleurs du Mexique. Promu capitaine, il se fsent plus patriote que jamais et accompagné de sa femme Luisa il part au devant des périls sans broncher.
Assez vite dans le récit on apprend que les choses tournent mal pour tous les insulaires puisque les pages 16 à 20 nous apprennent les conditions dramatiques dans lesquelles Luisa, deux autres femmes et quelques enfants vont devenir les rescapés de cette histoire de fous. En effet, après l'installation de Soulier, de ses soldats et de leurs femmes, le Mexique est entré en révolution et les navires de ravitaillement que l'armée doit leur expédier prennent du retard puis ne viennent même plus. En 1917, le capitaine du navire nord-américain qui rapatrie les ouvriers du guano propose de ramener sur le continent les naufragés mexicains mais la haute idée qu'ils se font de l'honneur militaire, le capitaine Soulier tout le premier, leur interdit de monter à bord d'un navire yankee. Désormais livrés à eux-mêmes, ils voient approcher la catastrophe finale. Faute de fruits et de légumes, le scorbut fait périr un grand nombre de militaires. Les vivres se font rares. Les rations diminuent drastiquement et ils sont réduits à ne plus manger que les fous. Soulier et trois de ses hommes partent en chaloupe tenter désespérément de rejoindre un cargo de passage et disparaissent dans une tempête majeure qui ravage aussi l'île.
Les survivantes connaissent alors le pire de leur existence. Saturnino, le gardien noir resté pour veiller au phare, devient leur tyran, leur bourreau, leur violeur. Alors que Luisa est sur le point d'être violée à son tour, son amie Martina tue Saturnino à coups de marteau. Le jour même, un navire s'approche de l'île et vient miraculeusement sauver in extremis les trois survivantes en haillons et leurs enfants, c'était le 18 juillet 1917.
Quel accueil Luis, Martina et Esperanza vont-elles recevoir à terre ? Les autorités vont-elles assumer leur faute ? Luisa va se battre jusqu'à sa mort contre un pouvoir peu soucieux de reconnaître sa responsabilité. L'auteure s'est appuyée sur des documents, des archives militaires et des articles de presse, car si la triste histoire de l'île Clipperton, appelée simplement K dans le roman, n'est pas entièrement issue de son imagination, en revanche elle a su nous montrer le courage de cette femme qui a choisi par amour de rester auprès de son mari, alors qu'il s'entêtait dans le rôle du serviteur héroïque d'une patrie qui le laissait tomber.
• Ana Garcia Bergua. L'île aux fous. Traduit par Serge Mestre. Mercure de France, 2009. 269 pages.