Amélie Nothomb change de style et d'univers avec ce conte noir où dominent les dialogues.
Tout au long de ce récit sans repères temporels, ponctué de rares indices spatiaux, elle fait l'éloge de la lecture littéraire et explore les relations de l'adolescence avec le monde des adultes.
À dix-neuf ans mademoiselle Daulnoy a quitté son petit bourg des Ardennes pour étudier la philologie à Bruxelles. Répétitrice de Français, elle prend en charge un jeune de seize ans, soi-disant dyslexique, Pie Roussaire, élève de Première, dont le père est cambiste et la mère collectionneuse de porcelaines sur internet... Ces deux personnages réduits à des stéréotypes rappellent ceux des contes ; lui c'est le pater familias qui entend tout régenter et épie la jeune fille pendant les leçons. Elle c'est la mère « idiote » : deux être « creux », sans prise sur le réel. Dans leur milieu social aisé on se reçoit, on «plastronne » dans un entre soi égoïste. Pie, leur fils unique, déteste son père et méprise sa mère. Mal dans sa peau, il se sent prisonnier de son milieu et « n'a pas envie de vivre ». La jeune fille devient son « remède », sa lumière, quelqu'un de vivant qui l'ouvre au monde, lui fait découvrir Bruxelles et lui donne le goût de la littérature. Elle même, à dix-neuf ans, n'a ni ami ni amant, si ce n'est une aventure sans lendemain avec son professeur de mythologie... Ces deux être isolés, ces deux aérostats, trouvent sens l'un par l'autre : il est amoureux d'elle, et elle se sent utile.
Bruxelles et la lecture, c'est un peu de sa vie qu'Amélie Nothomb insère dans son récit, véritable plaidoyer pour la littérature. Selon elle, si les adolescents ne lisent pas, la télévision et les jeux vidéo n'en sont pas la cause : ce sont leurs parents qui ne les y ont pas incités. Et Amélie Nothomb d'évoquer « le Rouge et le Noir », « l'Iliade », « La Princesse de Clèves » ou les romans de Raymond Radiguet. Elle compare l'adolescence à un « carnage » : chaque jeune peut s'identifier au Samsa de la Métamorphose kafkaïenne, « vermine blessée », jusqu'à la mue à l'âge adulte.
Cette jeunesse, « il faut des années pour l'acquérir », après avoir symboliquement tué père et mère « qui n'étaient pas réels ».
Bien des parents trouveraient, dans ce conte édifiant, matière à s'interroger sur leur relation à leurs adolescents.
• Amélie Nothomb : Les Aérostats. Albin Michel, 2020, 172 pages.
Chroniqué par Kate