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Si comme le jeune ethnologue David Mazon vous ne connaissez pas les campagnes aux portes de Niort, la Plaine et le Marais tout proches, Mathias Énard vous y emmène dans ce truculent roman au titre étonnant et à la construction déconcertante.

 

Commençons par le plus surprenant. Au milieu du roman, après le journal de terrain du chercheur, place à la confrérie des fossoyeurs qui tient son banquet annuel. Thomas, le maire de la commune et fossoyeur du canton, organise la festivité à l'abbaye de Maillezais que la légende associe à la personne de François Rabelais et à son abbaye de Thélème. Il en résulte un banquet pantagruélique qui permet à Mathias Énard de nous conter de diablement savoureux excès de table et de boisson, cochonnailles, rôtis, fromages au nombre de 99 et bien arrosés, en même temps que d'incroyables discours, ornés de poésie ancienne, et des 99 synonymes et surnoms de la Mort récités par les 99 participants. Plus surprenant encore que cette « gargantuesque ripaille », écho lointain du temps des druides semble-t-il, les âmes des morts se réincarnent illico presto et le curé Largeau devient un jeune et vif sanglier, celui-là même que le maire et le cafetier chargent dans la camionnette qui sera revendue à l'ethnologue, et qui pue longtemps après, quand Lucie en sera la passagère de David Mazon.

 

Le roman est avant tout l'histoire de David Mazon, thésard en ethnologie, venu étudier les villageois de La Pierre-Saint-Christophe entre Niort et Coulonges-sur-l'Autize après une première enquête au pied des Pyrénées. Enfourchant Jolly Jumper — la mobylette prêtée par ses logeurs Mathilde et Gary, couple d'agriculteurs modernes — notre ethnologue arpente le village et ses alentours, visitant ses habitants, ruraux et péri-urbains, pour enregistrer leurs impressions et leurs souvenirs. Au bistrot local, dernier commerce en activité, et refuge de la sociabilité rurale, David rencontre les mordus de chasse et de pêche, les buveurs d'anisette, et les parties de belote ou de trut auxquelles il ne comprend rien, et même un plasticien au projet excentrique et scatologique venu s'isoler pour créer en province. Le séjour deux-sévrien est pour David une véritable initiation à la culture populaire, passant notamment par la gastronomie locale qui lui paraît très exotique. Le mangeur de pizza surgelée va aussi devoir faire l'expérience des légumes bio de Lucie et trouver plus de satisfaction dans la cuisine et le maraîchage que dans sa thèse. Finies les heures de tchat avec Lara restée à Paris, Lucie la remplace bientôt dans son cœur et dans son lit. Parmi les récits tirés de ses entretiens et rencontres, David reconstitue l'histoire de la famille de la jeune femme particulièrement cet arrière-grand-père, revenu du front en 1940, et bientôt réduit à se cacher dans le marais. 


 

L'auteur a regroupé ici des tonnes de souvenirs d'enfance pour bâtir cet extravagant bouquin gigogne, à la fois baroque et populaire, qui tantôt déçoit ou choque par des avalanches de trivialité, et tantôt au contraire enchante par le plaisir de la verve dans une langue qui voyage depuis les citations latines jusqu'au français médiéval et au patois poitevin. On y croise des figures historiques comme le connétable du Guesclin, le poète et chef de guerre huguenot Agrippa d'Aubigné ou encore Napoléon en route pour l'exil et combattant des punaises de lit. On y rencontre aussi des gendarmes en Estafette, une sorcière ou réputée telle répondant de son crime en patois devant un président de tribunal qui n'y comprend goutte, et même un benêt formidable spécialiste des éphémérides pire qu'un almanach Vermot. Lecture faite, aucun doute n'est plus permis, Mathias Énard est bien la réincarnation de François Rabelais !


 

Mathias Énard. Le Banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs. Actes Sud, 2020, 427 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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