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Comme dans Le Soleil des Scorta , Goncourt 2004, Laurent Gaudé emmène ses lecteurs en Italie du Sud. Cette fois-ci à Naples mais toujours dans un registre de tragédie. Matteo de Nittis conduisait son fils à l'école dans le vieux centre historique quand ils se retrouvèrent pris dans une fusillade, via Forcella, une histoire de camorriste sans doute. Pippo, six ans, est tué, pratiquement dans les bras de son père. Après les obsèques du petit garçon, les parents réagissent différemment l'un de l'autre. Matteo semble s'égarer dans son travail de chauffeur de taxi et Giuliana, folle de douleur, quitte le domicile conjugal pour son village natal après avoir vainement demandé à son mari de lui ramener son fils ou la tête de l'assassin.

 

Oubliée la lumière du Midi. Dans ses errances nocturnes à travers Naples, Matteo fait la rencontre, près de Santa Maria del Carmine, d'une prostituée, d'un bistrotier accueillant, d'un vieux curé et d'un érudit local dit le professore. Ces personnages burlesques et hauts en couleurs écoutent son désespoir. Il est bientôt question entre eux d'une incroyable entreprise pour ramener à la vie le fils de Matteo. Selon le professore, il est possible de rejoindre l'entrée des Enfers, accessible dans la ville même, sur un boulevard qui longe le port. Le groupe s'y rend. Voici donc Matteo accompagné par le curé Mazerotti devant la porte d'entrée des Enfers pour aller rechercher Pippo. Les aventures souterraines du curé et de Matteo illustrent le formidable savoir-faire de Laurent Gaudé pour nous plonger dans le monde sinistre des ombres qui hurlent et se lamentent. Ça ne se passe pas tout à fait comme dans le mythe d'Orphée et d'Eurydice, mais la résurrection de Pippo est payée de la vie de son père qui restera prisonnier du séjour des ombres, sans compter que les Enfers cherchent à se venger de cette intrusion en déclenchant un séisme punitif et dévastateur. Ainsi, tel Enée dans l'imagination de Virgile, Pippo ressort des bouches de l'Enfer pour une nouvelle vie, guidé par le curé Mazerotti, Grace la prostituée, Garibaldo le tavernier et bien sûr le professore .

 

L'incipit du roman se situe bien des années après l'assassinat du fils de Matteo en pleine via Forcella. Pippo qui a donc grandi et travaille à préparer les cafés pour les clients d'un grand restaurant annonce la décision qui va changer sa vie : « Je me suis longtemps appelé Filippo Scalfaro. Aujourd'hui, je reprends mon nom et le dis en entier : Filippo Scalfaro de Nittis ». Le lecteur strictement rationaliste devra accepter là encore les conventions d'un récit empreint de surnaturel ! En effet Pippo s'apprête à se venger de... l'homme qui l'a tué vingt ans plus tôt et qui vient de commander un café. Après l'avoir cruellement blessé, enlevé et laissé agonisant sur sa propre tombe, Pippo quitte Naples. Il croit pouvoir rejoindre son père — et à son tour se substituer à lui — en empruntant l'accès des Enfers de l'abbaye de Càlena, près de Foggia, au pays des cultures de tomates. En vain car « l'épaisse porte en bois est verrouillée » et le reste. Comme sa mère s'est retirée, souffrante, dans cette région, puis dans un hôpital fondé par le fameux Padre Pio, peut-être Pippo réussira-t-il à la retrouver...

 

On se laisse entraîner par l'écriture dynamique de Laurent Gaudé dans cette aventure haletante au milieu des ombres des défunts. L'infra-monde sinistre est ici rendu à merveille. La double narration, 1980 et 2002, non seulement ne crée pas de difficulté au lecteur mais, paradoxalement, pique au vif sa curiosité. On n'oubliera pas que ce roman est aussi à la gloire du café magique que Garibaldo et Pippo son élève, tels des alchimistes, savent adapter aux besoins de leurs clients.

 

Laurent Gaudé. La Porte des Enfers. Actes Sud, 2008 et Babel, 2010, 266 pages.

Sur l'œuvre de L. Gaudé, voir aussi : Ouragan, et les nouvelles de Dans la nuit mozambique.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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