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En se plaçant délibérément dans le sillage de l'Histoire populaire des Etats-Unis d'Howard Zinn, le professeur Alain Croix et ses trois collaborateurs se sont proposé l'écriture d'une « Histoire populaire » exemplaire avec comme cible la ville de Nantes, à l'heure où Michelle Zancarini-Fournel et Gérard Noiriel tentaient la même aventure à l'échelle de la France entière.

 

Une Histoire populaire, est-ce donc une simple histoire du peuple ? Et quelle définition et quelles limites lui donner ? Et à travers plus de vingt siècles, est-il fondé de parler d'un peuple nantais ? Autant de questions auxquelles les réponses paraissent fluctuer à la lecture du livre. Dans une ville séparée de la Bretagne par un décret de Pétain de 1941 dont il n'est pas fait mention (mais qui chaque année provoque une commémoration nostalgique de l'ancienne province), le lecteur note à plusieurs reprises les preuves du dédain dont les Bretons avaient jadis fait l'objet à Nantes : ouvriers analphabètes venus travailler au port comme « portefaix », prostituées des bordels du quai de la Fosse, mendiants que la mairie cherchait à refouler…

 

Le passe-partout intellectuel qui permet de délimiter et traiter le sujet est constitué le plus souvent de l'opposition entre dominants et dominés. Les dominés, les subalternes comme disent aussi bien les chercheurs contemporains, ce furent largement les marins au temps du commerce triangulaire quand les équipages subissaient des pertes comparables aux esclaves morts durant le « passage du milieu », chiffres à l'appui. Plus tard, le temps de la révolution industrielle, entre les années 1840 et les années 1950, se prête le plus aisément du monde à cette approche. La ville ouvrière des chantiers navals, — une industrie « industrialisante » qui entraîne et dynamise de multiples secteurs de l'économie —, mais aussi la ville des raffineries de sucre, des conserveries, des biscuiteries, finit par être appelée « Nantes la rouge ». La condition ouvrière est décrite dans sa misère et ses logements insalubres. L'histoire du mouvement socialiste et des syndicats montre ainsi l'importance de quelques congrès tenus à Nantes.

 

En mettant l'accent sur les dominés, on évite en principe d'y mêler les dirigeants de toutes les époques, à ceci près que les derniers chapitres évoquent l'action municipale des maires élus par “le peuple de gauche” — et des alliances plus larges — laissant à penser que le peuple n'a guère penché à droite. En fait cela dépend des limites spatiales choisies : en plein XIXe siècle comme sous la Révolution, Nantes est un îlot républicain entouré de campagnes royalistes, à la fin du XXe siècle, le vote de gauche s'étend aux quartiers et communes périphériques entourant un centre-ville plutôt passé à droite. Mais laissons cette question du vote tandis que l'abstention tend à devenir majoritaire même pour l'élection municipale qui a porté Johanna Roland à la mairie : preuve d'une « démocratie fatiguée » nous dit-on. Quelques chapitres auparavant, le lecteur avait été surpris par le très faible pourcentage des citoyens ayant voté durant la décennie de la Révolution de 1789 — fait qui n'était pas propre aux Nantais et qui est généralement occulté par nos manuels scolaires — mais en ces temps nouveaux la participation électorale n'était, dit-on comme pour l'excuser, pas encore entrée dans les mœurs d'autant que le « corps de ville » d'avant 1789 n'était élu que par une élite sociale, dispensatrice de la charité, et que le peuple cherchait d'abord à survivre au milieu d'une forte mortalité infantile.

 

Dans ce livre ambitieux, très attentif à l'histoire du travail et des métiers, et qui se veut pédagogue, on s'étonnera de nombreuses lacunes à commencer par l'absence de cartes permettant de localiser tant pour la fin du Moyen-Âge que pour les périodes suivantes, les lieux, quartiers ou rues, auxquels sont attachées des figures populaires présentes dans le récit. En ces jours de pandémie, on a cherché vainement l'impact qu'eut autrefois la tuberculose sur la population, ou encore la grippe espagnole d'il y a cent ans. Sans doute la tuberculose et la grippe espagnole touchèrent tous les milieux, comme le choléra de 1832 qui, en revanche, est mentionné. On s'étonne aussi de l'absence des marchés, pourtant lieux éminents de sociabilité populaire comme on le sait depuis l'étude de Michèle de La Pradelle sur les Vendredis de Carpentras, ou de la faible présence de la culture populaire. Allez, “de Nantes à Montaigu…” vous connaissiez déjà la chanson.

 

 

• Alain Croix e. a. Histoire populaire de Nantes. Presses universitaires de Rennes, 2017 et 2020, 479 pages.

 

Tag(s) : #HISTOIRE GENERALE
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