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Dans l’entourage d’Adolf Hitler, surgit l’étonnant personnage de Putzi, de son vrai nom Ernst Hanfstaengl. En dépit de la 4ème de couverture qui le qualifie de « premier roman », cet ouvrage que lui consacre l’historien Thomas Snégaroff n’en est pas un. Il s’agit d’une enquête et d’un essai biographiques. La chronologie s’efface çà et là pour céder la place à des souvenirs du travail de recherche. L’auteur se rend à Munich dans le quartier de la villa familiale et de l’entreprise Hanfstaengl, comme il rencontre Sybergerg réalisateur d'un film sur Hitler, ou s’entretient à Washington avec l’historien américain David Marwell qui a envisagé de tourner un biopic sur Putzi et l’avait rencontré dans ce but en 1973. On échappe ainsi à la pesanteur habituelle des biographies universitaires.

 

Issu d’une famille de l’élite lettrée de Munich, petit-fils d’un photographe de la cour, et fils d’un éditeur de livres d’art, Ernst Hanfstaengl est représentatif d’une élite cultivée que l’on s’étonne de retrouver convertie au nazisme. Dénommé Putzi — petit bonhomme — par sa nounou, Ernst est devenu un grand gaillard de près de 2 mètres quand il fait ses études supérieures à Harvard (promotion 1909). Son père, Edgar Hanfstaengl a épousé Katherine Sedgwick, une fille de l’élite de Nouvelle-Angleterre, et ouvert à New York une galerie d’art dont Putzi doit s’occuper à sa mort en 1910 tandis qu’à Munich son frère aîné Edgar va diriger l’entreprise familiale, et que son frère cadet Egon développe l’agence familiale de Londres avant de trouver la mort sur la Somme en 1915.

 

Après avoir mené une vie bohème avec Djuna Barnes dans le New York des années 1910, la période américaine de Putzi se trouve bouleversée par la guerre. Le torpillage du Lusitania où périssent 128 citoyens américains fait redouter à Putzi que n’éclate la guerre entre le pays de son père et le pays de sa mère. La loi de 1798 sur les étrangers suspects risque de le faire interner ; elle provoque la fermeture de la galerie sur la 5ème Avenue : il lui reste la petite boutique en face du Carnegie Hall, qu’il vend en 1920 pour rentrer en Allemagne avec son épouse Helene Niemeyer et leur fils Egon. La famille débarque à Brême en juillet 1921 et file vers Munich.

 

Sa rencontre avec Hitler discourant politique dans une brasserie munichoise le 21 novembre 1922 est déterminante. Très vite Putzi sert d’intermédiaire aux journalistes américains désireux de rencontrer Hitler. Putzi partage l’antisémitisme de Hitler dont le bureau est orné d’un portrait d’Henry Ford et il lui fit connaître les lois racistes en vigueur aux États-Unis. Hitler lit l’essai de Madison Grant sur les races à sa parution en allemand en 1925. Putzi rêve à la possibilité d’une alliance entre les États-Unis et l’Allemagne nazie ! Putzi connaît Mein Kampf avant sa publication et il partage aussi l’anticommunisme de Hitler qu’il aide dans son ascension, contribuant à financer le Völkischer Beobachter. Hitler devient un ami des Hanfstaengl à Munich. Sur son piano Putzi lui jouedu Wagner ; ils ont une passion commune pour le compositeur et deviennent des amis de Winifred, la belle-fille du compositeur. À l’échec du putsch de 1923, Hitler en fuite se réfugié un instant chez Helene.

 

Dans les années qui suivent, Putzi se trouve associé à la montée de Hitler vers le pouvoir, négociant des entrevues avec des journalistes américains, les uns admiratifs devant Hitler, les autres critiques comme cette Dorothy Thompson du New York Post qui publie en 1932 un livre défavorable à Hitler — un mauvais point pour Putzi dont la proximité avec Hitler exaspère particulièrement Goebbels et Rosenberg. La même année 1930 voit la publication du livre de Putzi sur l’histoire des relations entre l’Europe et les EU (De Marlborough à Mirabeau) et celle du Mythe du XXe siècle de Rosenberg. L’année suivante, Putzi prend enfin sa carte du parti : n°668027 un peu avant les élections de 1932, dont Putzi inspire la campagne « à l’américaine ». « La villa, Helene, le jeune Egon, le piano et Wagner, tout cela apaisait le Führer qui devait prendre de graves décisions ». Une fois Hitler chancelier, Putzi est chargé des relations avec la presse étrangère.

 

Putzi en compagnie de Hitler et de Göring — Bundesarchiv_Bild_102-14080.

 

Accompagnant von Neurath à la conférence économique de Londres en juin 1933 il rencontre Lloyd George et d’autres politiciens anglais qu’il juge prêts à s’accommoder d’Hitler dont l’antisémitisme ne semble pas les effrayer. Encore à cette époque, il se met en tête de trouver une épouse pour le Führer même s’il a confié à Helene : « Hitler est asexuel ». Dans ce but il fréquente Diana Mitford (la maîtresse d’Oswald Mosley) et sa soeur Unity, une vraie « fan » de Hitler. Putzi mise aussi sur Martha Dodd, la fille de l’ambassadeur des États-Unis à Berlin. Sans succès. Et son étoile va bientôt décliner.

 

L’invitation à Harvard pour le 25è anniversaire de la promotion de 1909 fait bien trop faire parler de Putzi. Cette université qui comptait jusqu’à 25 % d’étudiants juifs dans les années 20 n’en compte plus que 12 % à la venue de Putzi. À sa tête Abbott Lowell a fait en sorte d’écarter les étudiants juifs. La colère gronde parmi les juifs américains, sensibles à ce qui se passe en Allemagne depuis l’incendie du Reichstag. Le 7 mars 1934, ils ont organisé un procès de Hitler au Madison Square Garden avant que le 17 mai, plus de vingt mille personnes n’y déferlent en brandissant des croix gammées et en éructant « Heil Hitler ! ». Dans ce contexte, la visite de Putzi ne peut être discrète : une foule se masse contre lui sur les quais de New York à l’arrivée de son paquebot et à Harvard, des manifestations hostiles ont lieu. Le 30 juin il assiste au mariage d’un milliardaire héritier du clan Astor quand des journalistes lui apprennent ce que l’on appelle « la Nuit des longs couteux ». Plusieurs de ses amis nazis venaient d'être tués ou arrêtés.

 

À son retour en Allemagne, Putzi ne trouve plus grâce auprès du Führer devenu un tyran tout-puissant dans les meilleurs termes avec Goebbels qui contrôle désormais toute la propagande y compris la presse étrangère. Celle-ci s’adresse de moins en moins à Putzi et l’accès à la chancellerie lui est bientôt interdit.  L’entourage de Hitler lui monte même une farce en février 1937 : on lui fait prendre un avion destiné à le parachuter sur les lignes de front en Espagne. Après une escale due à la météo, Putzi se réfugie quelque temps en Suisse où, déprimé, il consulte le docteur Jung. De Zurich il rejoint Calais par train et s’enfuit en Angleterre, à court d’argent mais refusant un pont d’or pour d’écrire contre Hitler.

 

De Londres Putzi assiste à la marche vers la guerre, croyant jusqu’au dernier moment que le Führer le rappellerait à ses côtés. En même temps il redoute d’être éliminé par des tueurs à la solde de la Gestapo. Quand Churchill fait arrêter les citoyens allemands résidents ou de passage en Angleterre, Putzi est du nombre et est déporté dans des camps au Canada. En 1942, le gouvernement de Roosevelt fait appel à lui pour se renseigner sur les dirigeants du IIIe Reich. À Fort Belvoir, en Virginie, Putzi retrouve brièvement son fils Egon, alors officier dans la marine américaine. Une fois Hitler suicidé et la guerre gagnée, les Américains rendent Putzi aux Anglais : encore quelques mois en camp de prisonniers. En janvier 1949 un tribunal de Bavière l’innocente : il est « dénazifié » sans doute car son nom figurait sur la liste des Allemands que les nazis devaient éliminer s’ils avaient débarqué en Angleterre... Il peut alors retourner dans sa maison de Munich où il mourut en 1975.

 

En somme un livre qui a le mérite de nous faire découvrir quelque peu l’envers du décor du IIIe Reich avec ce surprenant personnage de mélomane enraciné à la fois aux États-Unis et en Allemagne. 

 

Thomas Snégaroff : « Putzi ». Gallimard, 2020, 335 pages.

 

Tag(s) : #HISTOIRE 1900 - 2000, #NAZISME
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