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« Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère » n’attends pas de comprendre Baudelaire en lisant ce « roman ».
« Crénom ! », c’était le seul mot que le poète, devenu hémiplégique et aphasique, pouvait encore prononcer en Juillet 1867, à quarante six ans ; et c‘est ce juron que J. Teulé a choisi pour titre ! Qui connaît son style ne sera pas déçu : le trivial et le vulgaire sont bien au rendez-vous. Mais cette fois c’en est trop ! À vouloir démystifier Baudelaire sans dissocier le poète de son œuvre, bien peu affleure de sa quête et de sa force créatrice. J. Teulé ne voit en lui qu’un dandy drogué, un asocial provocateur, un débauché ivre de sexe et toujours endetté.
Soyons juste : J. Teulé a consulté de nombreuses biographies de Baudelaire et restitue l’essentiel de sa vie. Mais il en remplit les blancs en imaginant à tout va, parfois à partir d’un vers décontextualisé et mal interprété inséré sans guillemets dans son récit.
Le portrait que l’auteur brosse de Baudelaire n’est pas faux mais outré et outrageant.
Il évoque juste en deux lignes la mélancolie, le spleen dont souffrait le poète, et cette soif d’ailleurs qui le hantait.
Baudelaire cherchait à choquer pour changer le regard de ses contemporains. Alors que la poésie académique ne sait chanter que la beauté idéale, Baudelaire, en « peintre de la vie réelle », observe la réalité crue et, tel un alchimiste, en extrait la vraie beauté. Le mal, le seul sujet qui n’a jamais inspiré les poètes, Baudelaire le peint pour en donner horreur.
Il se savait maudit, rejeté par ses contemporains, tel l’albatros sur le pont du navire, ou le vieux saltimbanque ignoré de tous dans la fête foraine : tel était le prix à payer pour révolutionner la poésie.
J. Teulé parvient à rendre Baudelaire antipathique et méprisable : à quoi bon écrire que le poète « se malaxe les burnes » quand la syphilis le fait souffrir, ou qu’il arrache à plaisir les moustaches d’un petit chien ?
Baudelaire méritait mieux et de la « boue » de J. Teulé il aurait peut-être fait de « l’or ».
• Jean Teulé. Crénom, Baudelaire ! - Mialet-Barrault Éditeurs. 2020, 427 pages.
Chroniqué par Kate