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Dans l'œuvre d'Alexandre Pouchkine, comment ne pas s'arrêter sur cette curiosité que constitue La Fille du capitaine et Histoire de Pougatchov ? En se documentant pour l'un, il s'arrêta pour écrire l'autre. Passionné par le passé de son pays, l'écrivain eut accès aux archives du ministère de la Guerre pour étudier l'histoire de la pougatchovchtchina et il fut autorisé à se rendre sur le terrain pour compléter sa documentation par des témoignages, de Kazan à Orenbourg, dans les lieux où sévit la révolte dramatique conduite par celui qui se prenait pour le tsar. Le roman (1836) s'articule ingénieusement avec la chronique historique (1834) et les deux s'éclairent mutuellement.

 

• Le travail historique de Pouchkine frappe le lecteur par la minutie de sa chronologie. Un siècle plus tôt Stenka Razine avait déjà soulevé les régions de la moyenne Volga en 1666-1670 contre le tsar Alexis. Pougatchev est le cinquième imposteur à se faire passer pour Pierre III qui avait trouvé la mort dans la révolution de palais par laquelle Catherine II parvint au trône. L'imposteur s'est adressé aux cosaques mécontent du bassin du fleuve Yaïk, que le régime tsariste, par une sorte de damnatio memoriae débaptisera en Oural, tandis que le ville de Yaïtsk deviendra Ouralsk.

 

L'aventure militaire dura plus d'un an et les cosaques reçurent souvent l'aide de nomades rebelles : kirghizes, bachkirs et autres. Dans sa progression vers le nord, entre Orenbourg et Ekarerinburg, Pougatchev rallia souvent les ouvriers des bastions industriels, principalement des usines métallurgiques, qui étaient pour beaucoup des serfs soucieux de revanche sociale.

 

Au fil de son avancée, Pougatchev ralliait de gré ou de force des troupes, particulièrement des cosaques qui désertaient les régiments russes envoyés pour le stopper. L'assaut mené sur certains postes, villages, et même grandes villes, fut particulièrement sanglant. Pougatchev faisait pendre les officiers vaincus et de nombreux civils aussi. «Dans tous les villages, les propriétaires fonciers ou leurs régisseurs étaient pendus au portail de la maison seigneuriale.» Souvent les civils cherchaient à obtenir sa pitié. Ainsi à Penza, «les habitants allèrent à sa rencontre portant les icônes et offrant le pain et le sel, et tombèrent à genoux devant lui.» De nombreuses localités furent pillées et incendiées, et les viols mêmes étaient une arme de guerre. Finalement c'est l'armée de Mikhelson qui parvint à le stopper "à cent cinq verstes de Tsaritsyne" (aujourd'hui Volgograd). Mis en cage, il fut convoyé par le général Souvorov jusqu'à Simbirsk et de là jusqu'au palais de la Monnaie à Moscou. Un procès fut organisé et Pougatchev écartelé, quelques uns de ses compagnons décapités ou pendus, d'autres condamnés au knout et aux travaux forcés en Sibérie.

 

Cet épisode tragique de l'histoire russe laissera dans les mémoires une forte trace et sans doute faudra-t-il attendre la situation de guerre civile créée par la prise du pouvoir de Lénine, et la résistance des paysans au "communisme de guerre", pour rencontrer des tragédies similaires.

 

 

• Le roman se situe au début de l'aventure de l'imposteur puisqu'Andreï Petrovitch Griniov, tout nouvel officier originaire de la région de Simbirsk, l'a rencontré de manière fortuite dans la région de Berda un soir de tempête de neige quand il rejoignait son régiment du côté d'Orenbourg (voir carte). Nommé dans un poste isolé, à Biélogorsk, Andreï s'y rend accompagné de son vieux domestique attentionné, le serf Saviélitch. Andréï tombe amoureux de la fille du capitaine Mironov qui commande la place. Maria Ivanovna a résisté à un autre officier, le perfide Chvabrine, qui tout au long du roman reste plein de ressentiment contre Andréï qu'il a même contraint au duel.

 

L'arrivée des rebelles tourne à la catastrophe, mais Maria Ivanovna se réfugie chez le pope et échappe au pire. Andreï est épargné parce que Pougatchev a reconnu en son prisonnier le jeune homme qui lui avait donné son touloupe lors de leur rencontre dans une auberge par une nuit de tempête. Comme on le conçoit aisément, la grâce octroyée à Andreï par l'imposteur, puis le cheval qu'il lui a laissé pour rentrer au domaine parental et enfin la délivrance de Maria Ivanovna — amènent les officiers dont il dépend à douter de sa loyauté. En Andreï, risque le bagne en Sibérie... Désormais orpheline Maria Ivanovna se réfugie dans la famille Griniov. Pour sauver son fiancé, Maria va imaginer un plan audacieux.

 

Vassili PEROV. Le jugement de Pougatchev. 1879. Musée russe, Saint Petersbourg.

 

A la fin du roman, Griniov, innocenté par Catherine II, peut assister au procès et à la mort de Pougatchev...

 

Alexandre Pouchkine. Histoire de Pougatchov et La fille du capitaine. Les deux textes figurent dans le volume des Œuvres de Pouchkine en Pléiade, pages 525 à 736. Une réédition dans la collection Babel propose la nouvelle traduction d'André Markowicz suivie d'un essai de Marina Tsvétaïeva.

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Le travail historique de Pouchkine est essentiellement chronologique. Pour une analyse étendue à la question sociale on pourra lire un article d'André Berelowitsch. Une jacquerie moderne : la révolte de Pougatchev (17 septembre 1773-15 septembre 1774) dans La Revue Russe, 2005. Article en ligne ici.

 

 

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE
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