Philosophe autrichien, K.P. Liessmann est professeur à l'université de Vienne. Dans ce recueil l'éditeur a regroupé différents articles parus entre 2014 et 2016 dans divers journaux et revues. En titrant « La haine de la culture » il met en avant la thématique principale. Dans le registre polémique l'auteur dénonce la « barbarie intellectuelle » engendrée par les technologies informatiques et les media.
Le discours social prône l'éducation et la formation, confondant instruction et compétences dans le rejet de la véritable culture. Or c'est d'elle que la démocratie a besoin pour former des citoyens capables de penser par eux-mêmes et non soumis à l'emprise des médias et des réseaux sociaux. En effet, une personne cultivée dispose d'un savoir en divers domaines et peut ainsi porter un regard critique, résistant aux jugements à la mode. Elle sait prendre ses distances avec les émotions et les « inanités médiatisées à outrance ». Car la culture invite à la lucidité, à la modestie, à la conscience du fait « de savoir que l'on ne sait pas ». Elle est ouverture à autrui dans le détachement, sans posture de supériorité ni vanité.
C'est désormais tout l'inverse du discours sur une éducation toute orientée vers l'emploi et l'épanouissement de l'enfant. Riche de dons et de talents qu'il faut faire éclore, il apparaît au centre de l'effort éducatif. L' éduquer ne consiste plus qu'à lui faire acquérir des compétences. En ne faisant plus références aux livres, aux textes littéraires on éviterait aux enfants des classes sociales défavorisées d'être pénalisés. Tout savoir doit donc être utile : la réflexion a cédé le pas à l'applicabilité. En conséquence le professeur n'est plus nécessairement expert dans une discipline mais coach, accompagnateur et assistant social.
Or, le savoir acquis grâce aux livres enrichit l'esprit et façonne la personnalité. L'éducation basée sur les textes « protège les jeunes des tentations que constituent la drogue, l'Etat islamique » ; elle est le moyen de faire disparaître préjugés et discriminations de toute sorte. Supprimer l'étude des textes, c'est vouloir « se débarrasser de l'individu qui s'obstine à penser par lui-même ». Selon l'auteur, l'éducation actuelle à partir du numérique ne forme pas des citoyens émancipés mais toujours sous la tutelle des discours médiatiques et des réseaux sociaux.
On discrédite désormais la pensée, on privilégie l'opinion, « l'ennemi naturel de la pensée ». On a galvaudé l'esprit des Lumières. Elles ont fondé la critique des religions car aucune ne peut revendiquer une vérité supérieure aux autres ; chacune doit se soumettre « aux exigences de la raison critique ». Si les philosophes « avaient été, comme nous le sommes aujourd'hui, animés par le souci de ne surtout pas blesser de sentiment religieux il n'y aurait pas de droits de l'homme, pas de théorie de l'évolution ». Nous avons « renversé les exigences des Lumières... »
L'assassinat de Samuel Paty en est la preuve tragique. Le temps est venu de réagir !
• Konrad Paul Liessmann : La Haine de la Culture. Pourquoi les démocraties ont besoin de citoyens cultivés.
Traduit de l'allemand par Susanne Kruse et Hervé Soulaire. Armand Colin, 2020, 222 pages. [Bildung als Provokation, Paul Zsolnay Verlag, Wien, 2017].
Chroniqué par Kate.