Par petites touches d’une écriture dépouillée et fluide Faïza Guène évoque la saga familiale de Yamina et Brahim Taleb à la manière d’un puzzle dont les différents chapitres constituent les pièces en désordre. Au lecteur de les assembler ! De 1949 à 2020, de la guerre d’Algérie à l’attentat de Charlie Hebdo, l’histoire n’a guère épargné ces parents qui se sont sacrifiés pour que leurs quatre enfants réussissent. Pourtant, ils sont devenus des adultes « accablés », hantés par la culpabilité. Car l’histoire se répète : autrefois victime du racisme cette famille algérienne a dû encore, en 2015, éviter d’être confondue avec les islamistes. Même si la discrétion inculquée par leur mère peut être une manière de résister aux agressions, elle ne protège pas ces enfants et entretient en certaines une sourde colère.
Yamina c’est le moteur du récit. Déjà privée d’enfance par la guerre, son père lui fit quitter l’école afin d’élever ses frères et soeurs. Toujours soumise et discrète elle ne désobéit qu’une fois, lorsqu’elle refusa d’être tatouée, voulant garder son « front libre »
Quand son père la maria malgré elle à Brahim, coffreur à Paris, elle se soumit encore alors qu’il l’envoyait « vivre dans le pays des colons qu’il avait mis tant d’ardeur à chasser du sien ». Toutefois ce mari se montra fidèle, ne battit jamais son épouse ni ses enfants et les encouragea à l’étude. Tous deux formèrent un couple uni de parents responsables, cas rare, selon la romancière, dans la conjugalité arabe.
Cette mère aimante a inculqué à ses enfants la discrétion pour ne pas se faire remarquer, et résister en silence aux humiliations des Français quand on est musulman, à la jalousie des familles au bled où l’on est considéré comme un étranger. Mais si l’aînée, Malika s’efforce de se taire et endure les propos racistes en étouffant sa colère, sa sœur Hannah reproche à sa mère sa réserve ; elle a « la rage coincée dans la gorge » et exprime, elle, son ressentiment. Quant à Omar, le fils trop choyé de Yamina, il développe encore à la trentaine un fort complexe d’infériorité face aux riches qu’il véhicule dans son taxi Uber.
Faïza Guène, en variant les registres et les lexiques, construit des personnages qui sonnent juste dans le contexte socio-historique. Elle rappelle bien que l’on ne reconnaît toujours pas la légitimité de ces enfants nés en France et qu’ils souffrent, en conséquence, de ne pas savoir qui ils sont.
Un bon roman comme l ‘auteur a coutume de nous en offrir .
• Faïza Guène. La Discrétion. Plon, 2020, 251 pages.
Chroniqué par Kate