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Emmanuel Carrère signe là un essai autobiographique dont le titre ne renvoie qu'à une partie de l'ouvrage. Certes on sait l'auteur adepte depuis des années du taï-chi,et coutumier de la méditation sur son « zafu », son petit coussin. Son projet initial c'était d'écrire « un petit livre pas prétentieux, souriant et subtil » pour expliquer à ses lecteurs ce qu'est le vrai yoga. Mais au final, l'ensemble s'ouvre en de plus larges voies. Emmanuel Carrère s'y livre, s'y dénude sans pudeur, entre humour et autodérision ; en réalité « c'est le voyage qui compte, pas la destination » comme l'affirmait Chogyam Trungpa.

 

Dix jours de retraite ascétique dans une ferme isolée du Morvan, contraint au silence, à la frugalité et aux longues heures méditatives, E. Carrère pensait avoir réuni là les conditions idéales pour rédiger. De fait, on découvre en détail la pratique de la méditation ; l'auteur explique même ses nombreux bienfaits : pour l'essentiel, basée sur la respiration, elle consiste à se détacher de son ego, à observer ses pensées sans se laisser emporter par elles, à arrêter les fluctuations mentales pour accepter tout ce qui vient sans juger.

 

On constate très vite qu'E. Carrère peine à pratiquer l'exercice : bipolaire de type 2 il alterne les périodes de surchauffe maniaque - phase up- et les plongées dépressives-phase down. L'amour, l'écriture ou la méditation ne l'apaisent que peu de temps. On comprend la relation entre sa tendance dépressive et le yoga : celui-ci ouvre à l'harmonie du yin et du yang alors que ces deux principes se combattent en lui. Sa souffrance psychique et sa tentation suicidaire l'ont mené à quatre mois de séjour en hôpital psychiatrique. Mais un reportage en Irak et un séjour à Patmos l'ont ouvert à l'empathie ; il s'est pris d'affection pour quatre jeunes réfugiés ; en découvrant leur destin l'auteur a réalisé quelle était sa chance dans la vie. Exfiltré de sa retraite au bout de quelques jours pour préparer l'homélie de son ami Bernard Maris tué dans l'attentat de Charlie Hebdo, E. Carrère a pris conscience qu'il ne pourrait écrire un « livre souriant » face à la tragédie.

 

L'auteur a choisi de se peindre sous un jour peu flatteur ; il évoque en termes très crus ses relations amoureuses, son goût pour l'alcool jusqu'au décès de son éditeur. On peut croire à sa « souffrance morale intolérable », celle de tous les bipolaires en phase down. Toutefois, même s'il affirme que « la littérature c'est là où on ne ment pas « on reste dubitatif : E. Carrère surjoue son personnage, sans doute pour apitoyer son lectorat.

 

Reste que, entre l'essai documentaire et la confession autobiographique, chacun trouvera dans « Yoga » des pages attachantes, à n'en pas douter.

 

• Emmanuel Carrère : Yoga. - P.O.L., 2020, 397 pages.

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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