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Un personnage comme Adam Pollo voilà l'exemple parfait pour entamer une carrière d'écrivain et, de fait, il valut à J.M.G. Le Clézio, né à Nice en 1940 d'un père anglais médecin au Nigéria (cf. L'Africain) une première récompense littéraire : le prix Théophraste Renaudot de 1963 (depuis on a laissé tomber le prénom).

 

Le roman est centré sur le personnage d'Adam Pollo, vingt-neuf ans, déconnecté de son passé qui reste mystérieux. Peut-être sort-il d'un asile, peut-être est-il déserteur. Il cherche vainement à engager la conversation sur certaines localités algériennes à un soldat en uniforme qui en revient. Peut-être il y a-t-il fait son « service » comme l'indique la lettre de sa mère adressée en poste restante, et qui mentionne une vieille tentative de fugue, à quatorze ans. Plus vraisemblablement Adam est-il un déserteur de la vie sociale et le titre du roman indiquerait alors le procès-verbal de cette reculade, de cette fuite devant la société des hommes, sans rechercher une activité sérieuse. Il commence des lettres à Michèle et ne les finit pas. Elle a des relations ambiguës avec lui. C'est d'elle qu'il tire quelque argent pour survivre. Il la recherche d'un bar à l'autre. Désœuvré, Adam passe une grande partie de ses journées en errances. Comme Meursault il arpente la plage, mais il n'a tué personne. Toutefois il a sans doute violé Michèle un jour de pluie. On voit bien qu'il est davantage dans son élément en pleine lumière. Soit dans la villa qu'il a squattée, soit sur la plage de galets, il aime s'exposer longuement au soleil du mois d'août. Sinon il suit un chien depuis la plage jusqu'à un grand magasin, ou jusqu'à la maison de ses maîtres. Il se conduit bizarrement au parc zoologique. Il dresse des listes de courses minimales. Il fait le badaud sur le port, un attroupement l'y attire : on avait repêché un noyé. Il tue un rat à coup de boules de billard. Et là, on se dit décidément que ça ne tourne pas rond dans sa tête. Un jour, il tient de grands discours d'allure exaltée, haranguant les passants dans une rue commerçante. Il se retrouve à l'asile, soumis aux questions des étudiants encadrés par le médecin-chef. Une dernière fois sa logorrhée s'exprime, allant de l'infantile au mystique, et permettant au docteur de dresser une longue liste de ses pathologies, comme le réquisitoire d'un procès. Soulagé de ce qu'il avait à dire, Adam plonge ensuite dans l'aphasie. Enfin, il se sent heureux. De retour dans la chambre beige de l'asile : « il allait l'avoir, ce repos pérenne ».

 

Le premier roman de JMG Le Clézio parut dans des années marquées par le Nouveau Roman. S'il n'a pas revendiqué d'affiliation à ce courant, l'auteur s'en approche par de nombreux points. Outre des procédés d'écriture (article d'un journal concernant Adam Pollo, passages en blanc, phrases inachevées, listes…) on observe une remise en cause du roman traditionnel : la disparition du personnage héroïque et l'absence de grande intrigue romanesque, l'importance aussi du regard suffisent à rapprocher Le Procès-verbal de divers titres de Robbe-Grillet et consorts. Ainsi l'errance rappelle celle du soldat de Dans le labyrinthe, et l'attirance pour la fenêtre grillagée de l'asile fait écho à La Jalousie. Ce ne sont que des détails formels. En même temps, cette existence de solitude, d'échec, fait un peu penser à Molloy de Samuel Beckett où Molloy et Moran vivent une dégradation physique et morale. « On dirait que vous me parlez avec des mots que je ne comprends pas » réplique Adam à un étudiant. Il a atteint « le niveau de l'ineffable ». Adam Pollo est un ange déchu sur la Riviera. 

 

Ce livre ne fit jamais l'unanimité. D'un côté, le palmarès du prix Renaudot et des lecteurs qui ont suivi avec intérêt voire passion la carrière du jeune Niçois jusqu'au Nobel. D'un autre, les commentaires négatifs qu'on peut encore retrouver sur certains sites comme Babelio : un livre obscur, et difficile, qui vous tombe des mains, et comme… empoisonné par le Nouveau Roman !

 

Jean Marie Gustave Le Clézio : Le Procès-verbal. Gallimard, collection Le Chemin, 1963, 248 pages. Et Folio n° 343 paru en 1973.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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