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Après Le Procès-verbal, voici le deuxième ouvrage de J.M.G. Le Clézio, un recueil de dix courts textes dont trois nouvelles particulièrement intéressantes La Fièvre, Beaumont fait connaissance avec sa douleur, L'Homme qui marche. On retrouve les thèmes de la marche, de la solitude et de la douleur, dans un parfum de Nouveau Roman. Et puis il y a surtout un chef-d'œuvre : Martin.

 

Paoli, dans L'Homme qui marche, — rien n'interdit de songer aux sculptures de Giacometti — arpente sa ville comme Roch dans La Fièvre, ou Joseph dans Un jour de vieillesse, sans oublier l'Adam Pollo du Procès-verbal. Cette thématique de la marche, sans doute écho des errances piétonnes de l'auteur dans sa ville de Nice, se conjugue à des obsessions et autres démons de l'esprit. Paolo, choqué par le départ sans explication de Jeanne, arpente son quartier au rythme de gouttes d'eau tombant dans le lavabo de son studio, lui imposant une cadence bientôt accélérée puis ralentie et « un indéfinissable fourmillement, une espèce de fébrilité inquiétante…». Sur les trottoirs, hommes et femmes sont témoins, croit-il, de son malaise : « il ne pouvait leur offrir le spectacle honteux d'un homme qui fait demi-tour ». Il faut continuer d'avancer.

Beaumont et Roch aussi sont fébriles. Le premier voit croître infiniment une douleur qu'il croit dentaire. La douleur de Roch est autre ; elle vient en fin de matinée de la chaleur « invincible », puis d'une fièvre qui s'éteindra seulement à la fin du jour. Entre temps, essayant malgré tout de se rendre à son travail dans une agence de tourisme, il aura connu la soif et de forts troubles sensoriels : « Des brumes se mirent à passer devant ses yeux, sans arrêt ; là-bas, sur le trottoir d'en face, les maisons se gondolèrent lentement, comme agitées par un vent furieux. Et les gens marchaient à travers un écran liquide…». La fièvre, ajoutée à l'insatisfaction de son emploi, le pousse à briser la vitrine de l'agence.

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Martin Torjmann est plus jeune que Roch ou Paoli, il a douze ans. Il est hydrocéphale : il a la grosse tête — au propre et au figuré car c'est un petit génie qui va passer le bac, qui a appris le latin et le grec au berceau, lu les philosophes quand d'autres jouent dans le bac à sable, reçoit des journalistes et donne des conférences sur la métaphysique et la foi. Il a dévoré l'œuvre du mystique médiéval Jan van Ruysbroek. On l'attend bientôt aux Etats-Unis. Mais un jour lui prend l'envie de descendre dans la cour de l'immeuble, au bac à sable justement ! Du haut de leur balcon les parents l'ont vu jouer, étonnés, et continuer à jouer même quand la pluie survient. Or des gamins du quartier surviennent qui le chahutent, le bousculent, et lui piquent ses lunettes. Et Martin doit ramper dans le sable pour tenter de les retrouver, ramper comme le charançon qu'il avait joué à faire grimper des falaises dans ce même sable avant l'arrivée des galopins. Martin a-t-il craqué, a-t-il voulu rejeter un vain savoir ? Au bout du compte il sent qu'il a « trop blasphémé ». Martin est ainsi le plus captivant des textes de ce recueil ; cette nouvelle mérite a elle seule qu'on n'oublie pas cet ouvrage d'un auteur qui était encore un débutant de trente-cinq ans.

 

J.M.G. Le Clézio : La Fièvre. Gallimard, coll. Le Chemin, 1965, 230 pages. Réédité dans la collection "L'Imaginaire".

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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