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Y a-t-il poète plus populaire qu'Alexandre Pouchkine dans toute la Russie ? Né en 1799 et mort en duel en 1837, le poète romantique est aussi un incomparable prosateur, auteur notamment de nouvelles comme La Dame de pique (1833) et Récits de feu Ivan Petrovitch Belkine (1830).

 

Adaptée à l'opéra par Tchaïkovski, adaptée au cinéma, à la télévision, La Dame de pique raconte la passion du jeu différemment du Joueur de Dostoïevski. La Dame de pique est certes une histoire où le jeu compte, mais le qui pro quo et le fantastique y ont une place de choix. Le pharaon est le jeu de cartes dont la comtesse Anna Fedotovna aurait appris une martingale à Versailles dans sa jeunesse. Son petit-fils ayant conté l'anecdote à son ami Hermann, ce jeune officier va chercher le moyen d'obtenir son secret de la comtesse alors très âgée, grâce à sa demoiselle de compagnie. Lisavéta Ivanovna se retrouve ainsi devant ce qu'elle croit être un rendez-vous amoureux mais l'intervention d'Hermann provoque la mort brutale de la comtesse effrayée. Après les obsèques, Hermann a une vision extraordinaire : le trois, le sept et l'as sont les cartes à jouer, une par soirée. Tout se passe bien les deux premiers soirs...

 

Les Récits de feu Ivan Petrovitch Belkine groupe cinq nouvelles toutes très réussies. Le Coup de pistolet raconte l'histoire de Silvio, un tireur d'élite de l'armée russe, qui lors d'un duel décide de suspendre le tir contre son adversaire qui le provoque en mangeant des cerises, quitte à le reprendre des années plus tard. La Tempête de neige est un autre incroyable qui pro quo où Bourmine, un officier de passage, se retrouve à l'église marié par le pope à la place d'un autre, et prend la fuite. Quatre ans plus tard il fera une belle rencontre. Le marchand de cercueils rentre chez lui tellement ivre après une fête avec ses nouveaux voisins qu'il rêve de tous ses clients. Le maître de poste tenait un relai avec sa fille Dounia, ravissante jeune-fille de dix-sept ans. Elle est enlevée par un capitaine de hussards qui a feint de tomber malade à l'auberge afin de la séduire. Le maître de poste ira jusqu'à Saint-Pétersbourg pour tenter de l'arracher à une vie dissolue. Des années plus tard Dounia viendra se recueillir avec ses enfants sur la tombe de son père. « Une belle dame ! répondit le gamin. Elle voyageait dans un carrosse à six chevaux avec trois petits barines, une nourrice et un petit chien noir ». (Le film allemand de Gustav Ucicky en 1940 propose un scénario différent où la belle Dounia, abandonnée, se suicide). Dans La Demoiselle paysanne, encore un qui pro quo : Lisa s'est déguisée en paysanne, et prétend être Akoulina fille du forgeron, pour faire la connaissance d'Alexeï son jeune et beau voisin. Quand leurs pères respectifs, jadis fâchés, organisent un grand repas pour célébrer leur nouvelle amitié, Alexeï découvre une Lisa très maquillée et ne reconnaît pas Akoulina dont il est tombé amoureux. Mais tout finira bien.

 

Portrait d’Alexandre Pouchkine, par Oreste Adamovitch Kiprenski
(1827, huile sur toile, Moscou, galerie Trétiakov).​​​​​​
 

Si l'on fait confiance à la traduction, c'est dans un style dépouillé, — peu d'adjectifs, peu d'adverbes —, et avec des phrases courtes que ces histoires nous sont contées. Cette écriture qui s'éloigne des emphases des Romantiques réduit la distance que près de deux siècles ont mise entre Pouchkine et nous autres lecteurs de 2020, tout en témoignant agréablement de la Russie du début du XIXe siècle. Ces histoires révèlent des campagnes dominées par les grands propriétaires fonciers ; des familles où la domesticité tient une part considérable ; une société où le sens de la Patrie est fort et les officiers importants, car on se situe au lendemain de la guerre contre Napoléon Ier. « Les femmes, les femmes russes étaient alors incomparables ! Leur froideur habituelle cédait, et, avec un enthousiasme enivré, elles criaient “Hourra !” devant l'arrivée des vainqueurs. » (La Tempête de neige). Incidemment on trouve aussi un pays où vit une minorité d'Allemands (comme l'officier Hermann dans La Dame de pique, ou les artisans, compagnons de beuverie du Marchand de cercueils) car le pouvoir russe du siècle précédent avait favorisé leur immigration. Finalement, ces textes qui mêlent habilement histoires d'amour et qui pro quo n'ont rien de superficiel.

 

Pouchkine : La Dame de pique et autres récits. Traduction d'André Gide et Jacques Schiffrin. Livre de Poche. Même texte dans l'édition de La Pléiade (Œuvres de Pouchkine, Griboïedov, Lermontov).

 

Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE
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