L'actualité se porte si souvent sur les Champs-Élysées que nul ne peut ignorer leur image et leur légende, autant dorée que noire. Quand l'historienne Ludivine Bantigny, se penche sur les Champs c'est d'abord en spécialiste des mouvements sociaux et des engagements politiques contemporains, même si elle ne fait pas l'impasse sur les siècles passés.
Avant de devenir « la plus belle avenue du monde », il était une fois un chemin rural qu'un plan de 1694 baptisa « Champs-Élysées ». L'aménagement du quartier démarra sous Louis XV autour d'une route qui était celle de Versailles, celle qu'empruntent le 6 octobre 1789 les parisiennes parties chercher le roi, la reine et le petit mitron. Autant dire que la voie a été marquée par l'histoire de ses défilés spectaculaires : revues du Quatorze-Juillet, parades militaires, arrivées du Tour de France cycliste, bicentenaire de la Révolution scénographié par Goude, convoi funéraire de Victor Hugo, remontées triomphales de sportifs en bleu, parade gaulliste du 30 mai 68, etc… Et tout en haut, la place de l’Étoile et l'Arc de triomphe qui s'offre un chapitre entier et bien documenté.
Mais l'essentiel du livre n'est pas dans le spectacle républicain ; il est dans la dénonciation des inégalités économiques et sociales. Descendre ou monter les Champs, côté pair ou impair, boutiques de luxe et restaurants : l'auteure nous guide avec le souci évident de montrer l'argent derrière les façades où ne réside plus qu'une poignée d'habitants. Les banques, les show rooms, les établissements de luxe ont chassé les résidents mais attiré les touristes fortunés (y compris très fortunés) autant que la foule la plus variée où les plus pauvres ne manquent pas. Gaspillage et misère se côtoient et s'ignorent.
Surtout l'auteure a le souci de nous montrer l'envers des choses, l'envers du bling-bling : elle s'appuie sur les témoignages de travailleurs précaires et exploités qui permettent à la grande machine des Champs de fonctionner, y compris la nuit et le dimanche. Le Fouquet's signifie alors l'indécence de l'argent-roi, et dans sa critique du système actuel, l'auteure fait la part belle aux actions violentes des Gilets Jaunes contre le règne des inégalités et des injustices. De remarquables photographies, notamment de Serge d'Ignazio, accompagnent ses démonstrations. On a envie de leur opposer une seule image : celle des Champs totalement vides lors du confinement !
• Ludivine Bantigny : « La plus belle avenue du monde ». Une histoire sociale et politique des Champs-Élysées. La Découverte, 2020, 283 pages.