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Le 4 juin 1848 Victor Hugo fut élu député de l'Assemblée constituante. Le 20 décembre 1848, il vit monter à la tribune de l'Assemblée le citoyen Louis Bonaparte pour prêter serment à la constitution puisqu'il venait d'être élu au suffrage universel à la Présidence de la République. Le 2 décembre 1851 celui qu'on appelait alors le Prince-Président fit un coup d’État contre cette constitution qui allait mettre un terme à son mandat et le 4 décembre son armée mitrailla les Parisiens. Victor Hugo, qui faisait partie de l'Assemblée nationale élue en 1849 et qui était désormais proscrit, dénonça dans ce livre la conduite de celui qu'il appelle Napoléon le Petit. Le style hugolien, éblouissant, ajoute à l'intérêt de cette lecture.

 

Hugo, devenu républicain en 1848, commence par s'en prendre à l'homme Louis Bonaparte dont il n'évoque que très brièvement la biographie rappelant juste la tentative de soulèvement à Strasbourg en 1836 et à Boulogne en 1840, et préférant insister sur le portrait moral. « Machiavel a fait des petits. Louis Bonaparte en est un… » La ruse et le mensonge sont ses armes. Le 27 novembre 1849, il disait « je ne sais pas un ambitieux » et le 31 décembre suivant il affirmait encore à l'Assemblée « je veux être digne de la confiance de la nation en maintenant la constitution que j'ai jurée. »

 

Suite au coup d'état, un plébiscite a donné 7 500 000 suffrages à Louis Bonaparte. Hugo réécrit ironiquement la question posée : « Le peuple français entend-il se remettre pieds et poings liés à la discrétion de M. Louis Bonaparte ? » Il invente une proclamation qui se termine ainsi : « Article dernier : Cette chose qu'on appelait l'intelligence humaine est supprimée » ; en effet maintenant Louis Bonaparte à un Conseil d’État et un Corps législatif à sa botte en plus d'une armée satisfaite d'un budget en hausse. La presse est censurée. La légalité bafouée. Victor Hugo énumère à satiété les reproches à adresser à Louis Bonaparte : il est devenu « despote, dictateur, commandeur des croyants, czar, calife ». La France de 1789 et de Napoléon Bonaparte est fichue. « Paris n'est plus Paris, c'est Bagdad ». « Il a effacé des murs Liberté, Égalité, Fraternité ». Louis Bonaparte va-t-il se contenter de ce plébiscite ? « Empereur ? Pourquoi pas ? » Le nouveau pouvoir est « une main baignée de sang qui trempe le doigt dans l'eau bénite. » De plus, et c'est au moins une allusion à la loi Falloux, « il persécute et étouffe partout l'enseignement. Il y a un paria dans notre France d'aujourd'hui, c'est le maître d'école ». « M. Bonaparte frappe à la fois l'enseignement par en haut et en bas ; en haut pour plaire aux évêques ; en bas pour plaire aux curés. En même temps qu'il cherche à fermer l'école du village, il mutile le Collège de France. Il renverse d'un coup de pied les chaires de Quinet et de Michelet.. » Le réquisitoire paraît complet.

 

« Résumons ce gouvernement. Qui est à l’Élysée et aux Tuileries ? le crime. Qui siège au Luxembourg ? la bassesse. Qui siège au Palais-Bourbon ? l'imbécillité. Qui siège au Palais d'Orsay ? la corruption. Qui siège au Palais de justice ? la prévarication. Et qui est dans les prisons, dans les forts, les cellules, dans les casemates, dans les pontons, à Lambessa, à Cayenne, dans l'exil ? La loi, l'honneur, l'intelligence, la liberté, le droit. »

 

L'écrivain reprendra dans Histoire d'un Crime les événements tragiques de décembre 1851. Le coup d'état a suscité une résistance à Paris et dans de nombreux départements. Face à des barricades dressées au cœur de Paris, des troupes ont été massées « depuis la rue de la Paix jusqu'au faubourg Poissonnière », environ 16 000 hommes. Les troupes ont tiré au fusil et au canon sur les barricades comme sur les passants, les boutiques, le café Tortoni même. L'auteur cite l'indignation de nombreux témoins des dizaines ou centaines de victimes fauchées dans les rues du centre de Paris rougies du sang versé. Aux cent-quatre-vingt onze victimes officielles de la tuerie, combien faut-il ajouter ? « C'est une question que l'histoire réserve » dit-il prudemment, tout en citant le mot d'un officier témoin du ramassage des cadavres au champ de Mars : « Mettez douze cents ». Mais ça c'est seulement pour Paris. L'auteur évoque la gravité de la répression en province et les nombreux proscrits dont il fait lui-même partie.

 

D'autres crimes s'ajoutent au massacre. Louis Bonaparte n'a pas seulement écrasé la République en faisant tirer ses troupes, il a liquidé le parlementarisme dont Victor Hugo est très fier, et sali la France. Le plébiscite du 20 décembre est un brigandage que Louis Bonaparte a cru déguiser en absolution de son crime. Or, le vote n'a pas été libre, notamment dans l'armée et les administrations. Le vote du citoyen n'a pas été éclairé puisque la presse a été censurée. Quant au décompte des voix… « La bassesse a compté, la platitude a scruté, la rouerie a contrôlé, le faux a additionné, la vénalité a vérifié, le mensonge a proclamé. » Pire, le 5 avril 1852 les hauts magistrats, ceux-là mêmes qui auraient dû faire son procès, sont venus prêter serment à Louis Bonaparte aux Tuileries. Et Hugo de citer des noms car bien sûr Louis Bonaparte n'est pas seul. Cet homme ne sait pas ce qu'est « la conscience humaine » et Hugo cherche à le comparer à d'autres tyrans, mais aucun n'est à la hauteur de ses crimes.

 

De plus Louis Bonaparte a joué de la cupidité des Français. « L'un se donnerait pour une préfecture, l'autre pour une recette, l'autre pour un consulat ; l'autre veut un bureau de tabac, l'autre veut une ambassade. Tous veulent de l'argent, ceux-ci moins, ceux-ci plus, car c'est au traitement qu'on songe, non à la fonction. Chacun tend la main.… » L'Empire restauré verre effectivement le triomphe de l'argent et des milieux d'affaires. Un historien parlera de « la fête impériale ». On en était encore loin à l'été 1852. Cependant Victor Hugo termine sur une note d'espoir, la République un jour l'emportera et déjà le Progrès est en marche.

 

Victor Hugo ne nous dit pas tout. Il ne dit pas qu'il avait soutenu en 1848 la candidature de Louis Bonaparte. Il a rompu avec lui en 1849 quand l'armée a été envoyée écraser la République Romaine et rétablir Pie IX sur le trône de saint Pierre et donc sauver les Etats de l’Église. Ayant vainement tenté de s'opposer au coup d’État en décembre 1851, et banni comme 65 autres députés, Victor Hugo s'exile à Bruxelles où il écrit en juin et juillet 1852 ce pamphlet qui est introduit clandestinement en France en août. Aussitôt expulsé par la Belgique, Hugo s'installera pour un nouvel exil, à Jersey puis Guernesey. Il faut attendre 1877 pour que son éditeur parisien Hetzel publie Napoléon le Petit, puis en 1877 et 1878 les deux volumes d'Histoire d'un Crime.

 

Victor Hugo. Napoléon le Petit. Hetzel et Quantin, Paris, 1877, 246 pages.

[On peut consulter le texte en ligne sur Gallica et Google books].

 

Tag(s) : #HISTOIRE 1789-1900, #LITTERATURE FRANÇAISE
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