
Il y a des dates qui disent immédiatement quelque chose, qui vous parlent sans que vous ayez à réfléchir, par automatisme : 1515 Marignan, 1815 Waterloo, etc. Mais 428 ? — Rien. Rien de spécial. C'est bien pour cette raison que l'historien Giusto Traina aurait choisi cette année pour nous emmener faire le tour d'un Empire romain qui déclinait certes mais repoussait encore l'heure de son effondrement. Nous y découvrirons une riche galerie d'étonnants personnages.
Comme un Tour de France qui part d'une ville étrangère, ce Tour de l'Empire romain part d'Arménie. Le royaume chrétien passe cette année-là sous la domination de la Perse de Vahrām V, le Grand Roi contre qui Théodose II, le basileus de Constantinople, a préféré ne pas faire de guerre pour l'instant. Et, bouclant la grande boucle, c'est en revenant sur l'empire continental des Sassanides que s'achèvera cette étude d'une Antiquité déjà un peu tardive.
Dans cet Empire romain désormais bien plus peuplé de chrétiens que de païens, les uns bénéficiant de l'appui de l’État, les autres supportant son hostilité, sauf à Athènes, les sources dont dispose l'historien d'aujourd'hui sont presque unanimement religieuses mais divisées par les clameurs des hérésies multiples qu'Augustin, qui à 74 ans vient de terminer la Cité de Dieu, répertorie pour l'instruction du clergé et répondre à la suggestion d'un futur évêque de Carthage.
D'autres figures religieuses suscitent l'intérêt du lecteur. Tiré de son monastère proche d'Antioche pour occuper le siège épiscopal de la capitale, Nestorius est un homme controversé et bientôt compté comme hérétique. Ses fidèles devront alors se réfugier en Perse et au-delà. En 428, en route pour la nouvelle Rome, il est escorté par le général Flavius Dionysius à travers l'Asie mineure, mais sans s'arrêter à Chalcédoine où son rival Hypatios, partisan d'un ascétisme fort austère, fulmine déjà contre lui.
Le fanatisme anti-païen sévit à Alexandrie où Hypatie a été lynchée treize ans auparavant par les miliciens à la solde de l'évêque Cyrille ; autour du copte Chenouté, les moines de la vallée du Nil s'en prennent aux restes du paganisme et martèlent les bas-reliefs pharaoniques. Le périple comprend aussi l'étape de Jérusalem qui éclaire la persistance des Samaritains et la Pâque de cette année-là qui n'était après tout que l'an 1181 après la fondation de Rome.
Passant dans la pars occidentalis de l'Empire, à l'étape de Ravenne le lecteur rend visite à Galla Placidia dont la destinée a été véritablement extraordinaire. Fille de Théodose Ier, otage en 410 lors du sac de Rome, épouse d'un roi barbare et bientôt veuve, réfugiée à Constantinople en 423 et maintenant, à quarante ans, elle tient à Ravenne les rênes du pouvoir comme régente, son fils Valentinien III n'ayant encore que neuf ans. Son règne bénéficie de la protection du général Aetius dont l'armée repousse les Huns, réprime les Francs et décourage en Gaule l'agitation des Bagaudes. Pendant ce temps les Wisigoths ont Toulouse comme capitale, et en Espagne Genséric rêve pour les Vandales d'une installation en Afrique où après la fièvre hérétique des donatistes, le comte Boniface s'enferre dans la résistance contre Ravenne.
En fait d'année ordinaire, on apprend mille choses qui le sont peu dans cet ouvrage passionnant qui invite à s'intéresser à une période de l'histoire trop souvent ignorée au crépuscule de la civilisation grecque et romaine.
• Giusto Traina. 428, une année ordinaire à la fin de l'empire romain. Traduit de l'italien par Gérard Marino. Pluriel, 2020, 330 pages. [Les Belles Lettres, 2009].
=> Sur le même sujet, voir aussi le compte-rendu de l'essai de Ward-Perkins, ici.