Du jardin du peintre impressionniste, intime et fleuri, au jardin d’Éden et de l'Âge d'Or, du jardin clos des enluminures du Roman de la Rose aux immenses parcs et jardins de Versailles reflets de la monarchie absolue, voici une promenade artistique entre XVe et XXIe siècle, pour se déconfiner un peu en respirant l'air pur des jardins et des parcs. Alors, suivons les peintres !
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Le jardin des enluminures
Le jardin mystique est symbolique dans l'art médiéval tardif. C'est un entour du sujet représenté : jardin de cloître, clos, où se retirer du monde ; il est métaphore du jardin d’Éden, du paradis terrestre.
Le jardin courtois, jardin d'amour, est lui aussi hors du monde présent, et toujours enclos comme dans les enluminures pour Le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris (vers 1220) et Jean de Meung (dans les années 1269 à 1278). Au centre se dresse la fontaine de vie. Le verger est le symbole de la fin'amor.
L'Amant et dame Oiseuse devant la haute muraille du jardin du Plaisir d'amour. Dans le jardin, le dieu Amour est entouré de ses dames : Liesse, Courtoisie, Jeunesse et Beauté. 1450. (Londres, British Library). Tout est en angles droits dans le plan de ce jardin, conformément au texte de G. de Lorris. Au contraire, dans cette autre enluminure du milieu du XVe siècle, le jardin est circulaire, pour suivre la version de J. de Meung et contient des arbres fruitiers qui évoquent le paradis où Adam fut créé.
L'Amant accueilli à la porte du Jardin des plaisirs par Oiseuse. XV°s. (Ms Egerton 1069, f°1 r. British Library). Au centre du jardin, on y voit la fontaine d'amour, miroir périlleux où Narcisse s'est miré. La portière Oiseuse contrôle les entrées de ce jardin secret.
Le Roman de la Rose et ses réécritures suscitent des illustrations où le jardin clos, parcouru de belles dames se structure en allées rectilignes délimitant des carrés de verdure comme dans les jardins de plantes médicinales des abbayes médiévales.
Autre allégorie du jardin courtois avec cette enluminure de Robinet Testart (1496-98), pour le Livre des échecs amoureux d'Evrart de Conty, (BNF, Paris). "Nature" est le nom de la porte que garde Oiseuse, la femme en robe bleue, et "Déduit" celle de gauche, du nom du propriétaire du lieu.
Enluminure attribuée à Cristoforo de Predis pour la cour Sforza de Milan : La fontaine de Jouvence des enfants de Vénus. [Manuscrit De Sphaera coelestis et planetarium descriptio, f° 9r. Bibliothèque Estense, Modène, vers 1470.]
Fontaine de vie ou d'immortalité, constituant le centre d'un vaste jardin, la Fontaine de Jouvence peinte par Lucas Cranach en 1546 (Berlin, Gemäldegalerie) est aussi le sujet de l'un des plus célèbres tableaux de la Renaissance. Le bassin est dominé par une statue de Vénus. La scène se lit de gauche à droite : les personnages âgés et fatigués sont acheminés en brouette et en charrette. Après le bain qui les rajeunit et revigore, à droite, ils se changent dans une tente et vont partager un festin accompagné de musiciens.
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De la Renaissance à l'Impressionnisme
Les jardins inspirés par la tradition biblique et le message chrétien vont laisser la place aux jardins royaux édifiés pour la magnificence des souverains. Après l'âge de l'absolutisme et des jardins à la française, s'amorce le temps des jardins dits à l'anglaise et leur charme romantique. En même temps, l'espace public se dote de parcs où déambuler et la bourgeoisie s'intéresse aux jardins : autant de nouveaux sujets pour les peintres.
Hieronymus Bosch. Le Jardin des délices.(entre 1480 et 1505). Musée du Prado, Madrid.
L'œuvre se lit de gauche à droite. Sur le panneau de gauche nous sommes au Paradis terrestre : on reconnaît Adam et Eve réunis par le Créateur devant la fontaine de vie. Et à droite une scène de l'Enfer où sévissent les tortures : c'est le résultat des "délices", en fait de l'inconscience des péchés (selon Ernst Gombrich), que le panneau central est réputé montrer. Mais le titre Jardin des délices n'a été utilisé que depuis le XIXe siècle.
Panneau central du triptyque du Jardin des Délices
Le panneau central traite de manière utopique de l'humanité pécheresse avant le Déluge ; Bosch y reprend le thème du jardin des délices avec la fontaine de Jouvence, et y agrège une multitude d'autres sujets et de nombreux animaux. Les 120 personnages nus du premier plan donnent au tableau une forte connotation érotique. Au second plan des cavaliers forment une ronde autour des baigneuses d'une fontaine de jouvence. A l'arrière-plan quatre fleuves se jettent dans un lac : là les humains sont remplacés par des êtres monstrueux, les drôleries de Bosch. D'où l'idée, typique de la Renaissance, d'une vision cryptée comme un rébus, que l'homme érudit s'efforce de déchiffrer, même si le tableau aurait été destiné à l'éducation morale du couple princier d'Henri III de Nassau ! Les scènes osées du panneau central sont cachées au regard lorsque le triptyque est refermé : cueillir des fruits — comme l'espèce de grosse fraise au premier plan — est une métaphore des rapports sexuels.
Cranach l'Ancien. Le paradis terrestre. c.1530, Kunstmuseum, Vienne. - Guidés par le Créateur, Adam et Eve semblent visiter ce Jardin d’Éden tel un parc zoologique d'aujourd'hui où renard, bouquetin, cerf, biche, lion, taureau voisinent avec les chevaux, les moutons et jusqu'à une licorne.
Cranach l'Ancien. L'Âge d'Or. 1530, Alte Pinakothek, Munich. Enclos comme le jardin des plaisirs des miniatures de la période précédente, le jardin de cet âge d'or voit l'humanité innocente (nue avant le péché originel ) voisiner paisiblement avec les animaux dans un espace fleuri agrémenté d'arbres fruitiers.
Jan Brueghel l'Ancien (pour les animaux) et Pier-Paul Rubens (pour les personnages). Le Jardin d’Éden. c.1615. (Mauritshuis, La Haye). Ici encore l'homme vit en harmonie avec la nature. Les animaux côtoient les humains et se côtoient entre eux le plus pacifiquement du monde. C'est un jardin idéal.
Pier-Paul Rubens. Les Cinq sens : l'Odorat. 1618. Musée du Prado, Madrid. On nous montre ici une nature organisée pour le plaisir de l'odorat. Donc les fleurs abondent ! Cela complète la vision du Jardin d’Éden.
Mais le thème du Jardin d’Éden issu de la tradition vétéro-testamentaire ne saurait trop longtemps masquer le thème néo-testamentaire du Jardin des Oliviers.
Hans Multscher. Jésus au Jardin des Oliviers. Retable de Wurzach (1437). Dans cette œuvre la représentation d'un jardin est purement symbolique.
Niccolo di Liberatore dit L'Alluno (1430-1502). Le Christ au Jardin des Oliviers. 1492. Musée du Louvre. [C'est une partie de la prédelle (39 x 19 cm) comportant d'autres scènes de la Passion, l'ensemble du retable était destiné à une chapelle de Foligno en Ombrie, pays natal de l'artiste]. A ce jardin quadrillé où l'on ne voit guère d'oliviers, s'opposent de nombreuses représentations où le Jardin des Oliviers n'a pas de plan rigoureux. Celle de Delacroix en 1827 laissera dans l'ombre le jardin du sujet, alors que Mantegna le détaillait énormément.
Andrea Mantegna (1431-1506). Le Christ au jardin des oliviers (1457-59). Musée des Beaux-Arts de Tours. Le tableau faisait pendant à l'Agonie (du Christ) au Jardin des Oliviers, ou gethsemani, "le pressoir d'olives" en araméen. Le jardin est situé au bord du Cédron, franchi par les passerelles d'un chemin descendant de Jérusalem. Les oliviers y sont rares, leurs fruits surréalistes. L'arbre fendu du premier plan signifie mort et résurrection. Saint Jean et deux autres apôtres, Pierre et Jacques, dorment en attendant que le Christ ait fini sa méditation. Cette scène se retrouve dans les trois œuvres montrées ici.
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Dès la fin de la Renaissance, le jardin met en scène le pouvoir des princes et des rois dont il manifeste la puissance et la noblesse. Il devient le sujet du tableau, les références religieuses disparaissent : différent du paysage, c'est un lieu clos avec ses codes et ses pratiques : rigueur autour d'un axe central, géométrie, nature domptée.
Sébastien Vranckx (1573-1647) - Fête dans le jardin des ducs de Mantoue. c.1595. Musée des Beaux-Arts de Rouen. - Voici un jardin idéalisé, bien ordonnancé, aux formes symétriques et à la perspective stricte, où se déroule une fête pour une dizaine de couples avec au premier plan un pique-nique accompagné de fruits. Un tel jardin permet de déployer l'opulence aristocratique. Vasque où l'eau coule, rafraîchissante à gauche.
A contrario, dans la Hollande individualiste et en guerre contre la monarchie absolue espagnole puis française, le jardin urbain, quoique rigoureux, s'ouvre déjà à une intimité qui s'épanouira avec le jardin du 19e siècle.
Pieter de Hooch. Femme dans un jardin - 1651. La peinture hollandaise du XVIIe siècle est essentiellement celle d'une civilisation urbaine. Le jardin du bourgeois hollandais n'est qu'une cour pavée derrière sa maison, bordée de petits massifs où poussent des rosiers. La spéculation sur les tulipes est déjà passée, dans les années 1636-1637.
Jan Brueghel le Jeune. Satire de la tulipomanie. c.1640. Musée Franz Hals, Haarlem. C'est un peuple de singes qui s'est pris de passion pour les bulbes.
Loin des Provinces-Unies, l'absolutisme s'affiche en France.
Pierre Patel (1604-1676). Le château de Versailles en 1668. Château de Versailles. Les jardins rectilignes magnifient l 'ensemble architectural et manifestent la puissance du pouvoir absolu. Dessinés par André Le Nôtre après son expérience de Vaux-le-Vicomte.Il étend le parc initial de 90 sous Louis XIII à 6000 hectares quand le Roi Soleil s'installe à Versailles.
Jean Cotelle (1646-1708). Vue de l'Orangerie de Versailles. 1688-89. L'un des 24 tableaux de la galerie dite des Cotelle au Grand Trianon. C'est le triomphe du "jardin à la française" qui donne à voir une puissante perspective qui organise et domine la nature.
Jean-Baptiste Martin (1663-1742). Louis XV enfant en promenade en vue du Grand Trianon. 396 x 223 cm. 1724. Château de Versailles.
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Un grand renversement s'opère à la fin du 18e siècle, le jardin à l'anglaise, à l'inverse du jardin à la française précédent, laisse la nature en liberté. Par son refus de la symétrie, il symbolise la volonté d'émancipation à l'égard de la monarchie. On le constate dans l'arrière-plan des portraits comme dans les panoramas de parcs et jardins. Une autre évolution se dessine avec le passage d'une atmosphère tout aristocratique à un contexte plus populaire.
Thomas Gainsborough (1727-1788). Heneage Lloyd and his sister Lucy. 1760 - Fitzwilliam Museum
Thomas Gainsborough (1727-1788). The Mall in St.James's Park - 1783. The Frick Collection. Ici le jardin public encadre et met en valeur la promenade de riches personnes, comme une collection de gravures de mode.
Jean-Honoré Fragonard. Le petit parc. 1760-65. The Wallace Collection, Londres. - Balustrades, statues antiques, lions affrontés, frondaisons enveloppantes : tout concourrait à former un merveilleux lieu de rendez-vous galant, si ce n'était cet indiscret jardinier.
Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819). Paysage d'Arcadie - 1794. Au pied d'un château ou d'une ville fortifiée, la nature est à peine transformée en jardin, l'Arcadie peinte n'est pas une région de Grèce mais l'utopie idyllique d'un jardin juste ébauché. Une colonne se brisant sur son piédestal est sans doute le signe d'inquiétants temps nouveaux. C'est en effet le temps où la peinture des jardins des parcs — et des paysages — nécessite une étude en plein air, sur le motif, même si la réalisation se fait en atelier.
Pierre-Henri de Valenciennes - Classical landscale with Figures drinking by a Fountain - 1806 - Toledo Art Museum. La sensibilité romantique s'exprime dans cette composition où la fontaine est un lointain écho des anciens jardins de plaisirs.
John Constable. Golding Constable's Kitchen Garden - 1815. Ipswich Museum. Peindre le jardin potager tentera aussi Pissarro, Caillebotte… L'époque cultive la douceur de l'intimité, et un fier individualisme.
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Au 19e siècle le jardin se démocratise en jardin public: lieu de sociabilité, de rencontres où se montrent la foule, l'époque (promenades du dimanche…), le jardin rend perceptible le progrès.
Louis-Léopold Boilly (1761-1845). Conversation politique au jardin des Tuileries. (50 x 60 cm).1832 - Musée de l'Ermitage, Saint-Petersbourg. - Boom de la presse après la Révolution de 1830 : la lecture du journal alimente les discussions.
Edouard Manet. Concert au jardin des Tuileries. 1864. National Gallery, Londres.
Claude Monet. Parc Monceau. 1876. En 1876 et 1878, le peintre a réalisé six tableaux dans le Parc Monceau réaménagé sous le Second Empire.
Claude Monet. Parc Monceau. 1878. Metropolitan, New York
Claude Monet. Femmes au jardin. 1866. 255 x 205 cm. Musée d'Orsay. - Monet esquisse le tableau sur le motif, dans le jardin d'une propriété qu'il loue près de Paris et le termine en atelier pour le Salon de 1867 qui le refusera. Parmi ces femmes, Camille-Léonie Doncieux son modèle préféré. On admire sans doute plus leurs robes que les fleurs.
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Les jardins des Impressionnistes
Passé le Second Empire, le 19e siècle voit émerger et s'imposer le jardin du peintre avec l'arrivée des Impressionnistes. Claude Monet, Auguste Renoir, Edgar Degas, Camille Pissarro, Alfred Sisley, les Impressionnistes ne sont pas que des hommes : n'oublions pas Mary Cassatt et Berthe Morisot. En 1874 les Impressionnistes organisent la première exposition impressionniste dans l'atelier du photographe Nadar.
Comme un tableau, le jardin est une construction de formes, de couleurs, de lumières, le cadrage d'une nature reconstruite : « une harmonie parallèle à la nature » selon Cézanne. La représentation des jardins en peinture ne relève pas du seul pittoresque, elle fait sens. Le peintre y exprime sa sensibilité et ses rêves (comme le jardin imaginaire des Nymphéas de Monet) où se montrent l'amour conjugal, la famille, l'intimité. Plus de dimension sociale dans ces jardins : une personne ou deux ou trois : pas de foule !
Auguste Renoir. Monet peignant dans son jardin d'Argenteuil. 1873. The Wardsworth Atheneum Museum of Art, Connecticut. - Plus question de travailler uniquement dans l'atelier : Monet a posé son chevalet sur le motif, et ici c'est devant une abondance de dahlias, à ce qu'il semble. La barrière est quand même un peu dommageable à l'œuvre... Sans doute est-ce un triomphe de la spontanéité sur les grandes compositions longuement raisonnées.
Claude Monet. Adolphe Monet lisant dans le jardin du Coteau. 1867. Coll. part. Refusé par le jury du Salon, Monet est invité dans la propriété familiale appelée Le Coteau, à Sainte-Adresse, mais sans son modèle. Le contraste ombre/lumière est ici très favorable à l'impression donnée par le massif.
Gustave Caillebotte. Le petit jardinier. 1867. Le peintre fait l'acquisition d'une maison au Petit-Gennevilliers en 1881. Il a peint aussi le jardin potager comme les dahlias devant sa maison. Les dahlias aussi ornaient aussi le jardin d'Argenteuil où Monet peignait.
Gustave Caillebotte. Les Dahlias, jardin du Petit-Gennevilliers. 1893.
Camille Pissarro - La servante assise au jardin d’Éragny. 1884. Natif des Antilles danoises, Pissarro est arrivé en France en 1855 et il s'est fixé définitivement à Éragny-sur-Epte dans le Vexin normand en 1884. Il participe aux huit expositions du groupe impressionniste entre 1874 et 1886.
Mary Cassatt. La nourrice et les enfants dans le jardin. 1878. Coll. part.
Paul Gauguin. La famille du peintre au jardin à Vaugirard. 1881. Ny Carlsberg Glyptotek. Copenhague. C'est une œuvre de jeunesse du peintre qui est alors encore courtier en bourse et n'abandonne ce métier qu'en 1882 suite à la faillite de la banque l'Union générale. Gauguin a brièvement vécu à Copenhague où il a laissé sa femme en 1885.
Paul Cézanne. Couple dans un jardin. 1873. Cette année-là, avec l'aide du docteur Gachet il s'installe à Auvers-sur-Oise où il travaille avec Guillaumin et Pissarro. - Ça n'a pas la luminosité envoûtante des œuvres réalisées autour de la Sainte-Victoire, mais il s'agit ici d'une création du jeune Cézanne, une période où il utilise encore beaucoup de noir pour souligner les formes et leurs ombres. Le rendu est imprécis, un peu gauche et triste même.
L'exubérance florale est peut-être ce que l'on attend le plus d'un jardin impressionniste. Un espace joyeux, lumineux, non pas une image très "léchée", non pas une planche encyclopédique de botaniste mais un feu d'artifice de couleurs.
Auguste Renoir. Le Jardin. 1875. Coll. part. - Abondance de fleurs, peintes par touches suggestives mais d'espèces impossibles à identifier, dans ce beau massif avec à l'arrière-plan, sous une tonnelle, ou descendant des marches, un personnage, peut-être une femme portant chapeau.
Berthe Morisot. Le jardin à Bougival. 1884. Musée Marmottan, Paris. Elève de Corot, Berthe Morisot est la première femme peintre impressionniste. Elle a vécu à Bougival de 1881 à 1884 avec Eugène Manet et leur fille Julie. Des roses, des pivoines ? Un coin de jardin à l'angle de la maison.
Berthe Morisot : Manet et sa fille à Bougival. 1883. Coll. part.
Berthe Morisot. Eugène Manet et sa fille dans le jardin de Bougival. 1884. Derrière les personnages, un massif fleuri cache des murs et la maison : les délicates touches roses des fleurs s'accordent à la robe de la fillette, alors que la partie gauche du tableau est réalisé à grands coups de brosse.
Auguste Renoir. Nini au jardin. 1876. Philadelphia Art Museum. - Un jardin qui se prête à la méditation.
Claude Monet. Camille Monet et un enfant dans le jardin de l'artiste à Argenteuil. 1875. Boston Museum of Fine Arts. Monet a emménagé l'année précédente dans cette maison neuve d'Argenteuil, aujourd'hui au 21 rue Karl Marx, avec Camille et leur fils Jean. Ils y habitèrent jusqu'en 1878 puis partirent pour Vétheuil et Giverny. Le tableau est typique de la technique de Monet où les formes ne sont pas délimitées par des traits ; c'est le regard du spectateur qui reconstruit mentalement les formes et leurs limites. Les deux images suivantes confirment cette idée.
Claude Monet. Jardin de l'artiste à Giverny. 1900. Musée d'Orsay.
Claude Monet. Les nymphéas et le pont japonais. 1905. Monet s'est installé à Giverny dès 1883. D'abord locataire, il est devenu propriétaire en 1890 , a aménagé un verger en jardin fleuri et fait creuser sur un bras de l'Epte le bassin aux nénuphars au bord duquel il peint les Nymphéas et le petit pont japonais.
Alfred Sisley. Jardin potager à Louveciennes. 1873. Coll. part. - De père anglais, Sisley, qui avait rencontré Monet et Renoir à l'atelier de Charles Gleyre à Paris, quitta Bougival et s'installa à Louveciennes en 1869 jusqu'en 1874 avant de s'installer à Marle-le-Roy puis à Moret-sur-Loing. On devine un jardinier affairé au milieu de ses plantations.
Alfred Sisley. Le potager. 1872. La toile a été achetée en 1890 par la galerie Durand-Ruel. Coll. part.-
La leçon de l'impressionnisme a été reprise par les Impressionnistes américains avec un certain décalage temporel. Exemple avec Louis Ritman (1889-1963) et cette Femme au jardin.
Mais le jardin du peintre n'est pas toujours ce lieu réaliste où il a représenté sa femme ou ses amis, il peut très bien être imaginaire, rêvé…
Henri Rousseau, dit Le Douanier. Le Rêve. 1910. Museum of Modern Art, New York.
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Le jardin après les Impressionnistes
Après les Impressionnistes, les post-impressionnistes ! Vincent van Gogh est ainsi qualifié de post-impressionniste. La technique diffère un peu avec des touches en traits parallèles si remarquables dans le Jardin de Daubigny et parfois l'emploi de petits traits noirs dans le Jardin fleuri présenté ensuite.
Vincent Van Gogh. Le jardin de Daubigny. 1890. Musée Van Gogh, Amsterdam. Peint à Auvers-sur-Oise chez le peintre Charles Daubigny et légué par Vincent à sa veuve. - Jolies roses, mais la verdure est étrangement blanchie…
Vincent Van Gogh. Jardin fleuri. 1888. Ici, au contraire les couleurs claquent. Dans cette multitude de fleurs, on peut imaginer des iris au second plan car on sait que Van Gogh en a peint de très célèbres.
Emil Nolde. Jardin fleuri. 1908. On commence par voir ces soucis en grand nombre avant de s'apercevoir qu'une femme étend son linge à l'arrière-plan.
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Les Nabis, c'est--à-dire d'après un terme hébreu les prophètes, ou les illuminés, ce sont de jeunes peintres réunis en 1888 autour de Paul Sérusier. On y compte Pierre Bonnard, Paul-Elie Ranson, Maurice Denis, Édouard Vuillard…
Pierre Bonnard (1867-1947). Le Jardin à l'arbre rouge. 1909. Coll.part. - La lumière du Midi a été pour Bonnard une révélation. Il a séjourné à Saint-Tropez en 1904 et il y revient en juin-juillet 1909 chez son ami peintre Henri Manguin.
Maurice Denis. Avril. 1892. Otterlo, Kröller-Museum. Le peintre a peint une série sur les mois. Ses personnages, des femmes tout de blanc vêtues, et le jardin où elles se promènent et cueillent des fleurs, donnent un sentiment d'irréalité comme c'est souvent le cas chez les Nabis.
Maurice Denis. La rencontre. 1900. Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg. Une impression de simplicité, de dépouillement, ressort de cette toile.
Maurice Denis. Deux femmes sous un arbre en fleurs. c.1906. Coll. part.- En 1906, il voyage en Provence et les jardins du Midi l'inspirent. Il prend souvent sa femme Marthe comme modèle. Au contraire de l'œuvre précédente, il y a ici une grande impression de liberté soulignée par la femme qui se déshabille au milieu du jardin.
Édouard Vuillard : Jardins à Cannes, 1901. Coll. part. - Comme Maurice Denis, Vuillard est l'un des membres fondateurs du mouvement Nabi, mais il s'est beaucoup senti attiré par la Côte d'Azur et ses merveilleux jardins marqués d'une touche d'exotisme.
Édouard Vuillard (1868-1940). Jardin à Vaucresson. (1920-1936). Metropolitan Museum of Art, New York. - Vuillard a commencé cette toile en 1920 chez ses amis Lucie et Jos Hessel dont on voit la maison à l'arrière-plan du tableau. Associé de la galerie Bernheim Jeune, Jos Hessel était son marchand depuis 1912 et Lucie a été l'un des grands amours de Vuillard. Sur le tableau, Lucie vêtue de rose se tient debout à droite, sa cousine Marcelle Aron, dont on devine le chapeau et le visage de profil, est assise devant elle sur la pelouse mais dissimulée à notre regard par un buisson de rosiers.
Othon Friesz. Femme assise dans un jardin. 1923. Musée des Beaux-Arts de Rouen. Originaire du Havre, il a été influencé par les impressionnistes. Puis il a participé à l'exposition du Fauvisme en 1905. Le temps passant, la palette est devenue pour sombre. Autour de la vasque — objet décidément courant dans les jardins depuis la fin du Moyen-Âge — peu de fleurs, et des plantes fantomatiques. La femme assise attend mieux que ce que lui offre ce jardin.
Henri Matisse. Jeunes femmes au jardin. 1919. Musée de La Chaux-de-Fond.
Le véritable créateur du Fauvisme fut Matisse. Henri Matisse : Jardin du Luxembourg. 1901. Musée de l'Ermitage. C'est fauve, donc les couleurs hurlent et agressent. Le public et les critiques hurlaient aussi lors du Salon de 1905 où Matisse et ses amis exposaient.
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Autres avant-gardes…autres jardins... Le cubisme, le surréalisme, l'expressionnisme, le réalisme socialiste, le pop art, les modes se sont multipliées et la représentation des jardins s'est éloignée du réalisme, notamment à l'heure où triomphait l'abstraction.
August Macke. Gartenbild. 1911. 70 x 88 cm. Coll. part. - Un exemple de tableau expressionniste où l'artiste reste toutefois proche du réalisme intimiste.
Pablo Picasso. Maison et jardin. 1908. Avec Georges Braque, Pablo Picasso avait inventé le cubisme en 1907. Pas de fleurs cubistes !
Pablo Picasso. Femme assise dans un jardin. 1938. Le titre reprend celui de nombreuses œuvres impressionnistes et post-impressionnistes ! Le cubisme a bouleversé la représentation de la femme comme des jardins : des feuilles et quelques nervures. Le jardin est la femme, elle est le jardin.
Paul Klee. Jardin Oriental. 1925. Metropolitan. On est ici bien près de l'abstraction… L'orient reste perceptible à travers quelques coloris et contours, juste assez pour évoquer le jardin métaphorique.
En réaction à l'abstraction qui régna dans les années 1950 et 1960, bien des artistes revinrent à la figuration et les jardins s'imposèrent de nouveau sur les toiles. Mais souvent dans un style qu'on peut qualifier de réalisme naïf.
Jenny Beck (née en 1955). Somerset Gardens.
David Hockney (né en 1937). Maison dans un jardin. Acrylique sur toile. 122 x 183 cm. 2015. - Il s'agit de la maison du peintre à Los Angeles. Avec ce jardin, Hockney renoue avec une figuration très, très naïve…
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