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      Un roman qui se déroule sous le soleil de Provence ? Pas celle de Giono ni de Pagnol... Nous sommes du côté de Vence car Yannick Grannec a imaginé un roman épatant qui se déroule dans son pays d'adoption. Une abbaye de sœurs bénédictines accueille une histoire riche en rebondissements avec tous les ingrédients susceptibles d'attirer le lecteur et de le piéger 400 pages durant en 1584.

 

      L'abbaye (imaginaire, rassurez-vous) de Notre-Dame du Loup, construite sur une colline près de Vence, est dirigée par Mère Marie-Vérane, née Tassine de Glandevêves. Elle est un modèle de dévotion mystique, et son élection a laissé Marie-Angèle de l'Incarnation, la prieure, pleine d'une rancune très coriace. L'institution accueille « une douzaine de pensionnaires jusqu'au seuil du noviciat », telle Gabrielle d'Estéron, fille d'un autre petit seigneur du coin qui a redoré son blason en épousant une riche roturière. L'aînée des religieuses louventines, la converse Clémence, joue un rôle central dans l'histoire : c'est elle la spécialiste des « simples » qui donnent leur nom au roman. Ces plantes cueillies dans un « vallon obscur » et sur les collines qui dominent la vallée du Loup lui permettent d'élaborer tisanes, onguents, remèdes aux usages les plus divers : elle les prépare dans sa cellule et les utilise dans l'hôpital attenant à l'abbaye. Ces préparations à base de simples sont d'un bon rapport pour la communauté. Contrairement à la plupart des grandes abbayes sous l'Ancien Régime, Notre-Dame du Loup échappe au statut d'abbaye en commende. Cette particularité n'a pas échappé à Jean de Solines l'évêque de Vence dont le fils devenu vicaire continue de porter le nom de sa mère, Renée de la Sine, la maîtresse de l'évêque, qui estime que l'abbesse n'est qu'une « une prétentieuse confite de bondieuseries ». La suite montrera que le clergé de ce temps n'avait pas encore vu s'appliquer pleinement les nouvelles directives de la Contre-Réforme catholique…

 

      Sous la direction de sœur Clémence dont les connaissances d'herboriste sont immenses, la jeune et brillante Gabrielle compose un codex détaillant les vertus des simples, et est aussi pleinement satisfaite d'une vocation de religieuse avec la perspective, pourquoi pas, de devenir abbesse. Mère Marie-Vérane la protège et s'imagine qu'elle pourrait lui succéder. Pour l'instant : « Ora et labora ! »

 

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      Mais tout ça ne va pas durer éternellement. L'évêque cupide cherche la faille qui pourrait affaiblir l'abbaye et lui permettre de s'attribuer ses larges revenus. Or, ses interventions vont contribuer à mettre en branle une mécanique infernale dans un petit monde déjà rongé par les rivalités des familles de notables… Il envoie son fils et vicaire Léon de la Sine porter à l'abbesse une lettre refusant à Gabrielle d'Estéron de devenir novice car elle doit épouser le baron Quentin de la Sine. En cours de route, son cheval effrayé par un loup, Léon fait une grave chute. Ses blessures l'obligent à rester à l'hôpital de l'abbaye et c'est ainsi que tout commence à déraper...

 

      Comme dans un thriller, on ne peut en dire beaucoup plus, mais soyez assurés que l'intrigue est une belle mécanique de précision. Léon convalescent et concupiscent, Gabrielle furieuse et passionnée, ces jeunes gens n'auraient pas dû se rencontrer, et surtout pas dans une abbaye. Mais les passions déchaînées enveniment une situation tendue : le clergé séculier et le clergé régulier s'opposent, les religieuses se déchirent, les accusations pleuvent. Léon fuit. Le diable est-il dans l'abbaye ? Tout désigne sœur Clémence comme une possédée !

 

      Les techniques d'écriture de Yannick Grannec font merveille. Chaque partie — avec date et proverbe — contient des chapitres courts qui donnent du tonus au livre et portent le nom des personnages principaux : ce sont évidemment l'évêque, l'abbesse et sœur Clémence qui reviennent le plus souvent. L'auteure réussit à faire passer dans le texte le caractère de ses personnages, par exemple en profitant des dialogues, ou des citations latines. Les propos et les pensées de Maître Scabé, barbier de son état, n'ont rien à voir avec ceux du prétentieux chevalier d'Outreval conseiller au parlement d'Aix, eux-mêmes bien distincts de ceux du Père Montrachetti, l'inquisiteur venu d'Avignon. La tempête venue, la verdeur des répliques de Gabrielle et des religieuses contraste crument avec l'atmosphère monacale mais s'apparente parfaitement à la langue populaire imagée du XVIe siècle, de même que les quelques poésies qui servent d'intermède montrent une proximité avec les odes de Ronsard. On est ravi de trouver çà et là quelque exemples du vocabulaire provençal tandis que Sœur Clémence montre qu'elle n'a pas perdu le castillan de son enfance : elle l'a appris à son aide, la jeune Fleur, avec en plus quelques mots de nahuatl, car son hidalgo de père avait épousé une femme du Nouveau Monde. Mais c'est bien sûr le vocabulaire de la botanique, à côté de celui de la médecine du temps, que le lecteur doit le plus s'infuser : il y a tant d'herbes aux vertus inconnues de l'habitant des villes : millepertuis, « herbe à gueux », « herbe du bon soldat », etc, y compris celles qui entrent dans la composition de « la poudre à chimères » de Sœur Clémence — à consommer avec modération.

 

      Voici sans conteste l'un des meilleurs romans de la rentrée littéraire 2019 !

 

      Yannick Grannec : Les Simples. Editions Anne Carrière. 2019, 445 pages.

 

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