Après le consistant téféfilm d'Yves Boisset (1995, 3h 20 min.), L'Affaire Dreyfus, était-il vraiment utile que Roman Polanski remette le couvert en se fondant sur le roman D. de Robert Harris ? À priori, avec ce film de “seulement” 2h 12 min. on serait tenté de dire : « non » ! Néanmoins, outre l'avantage (?) de durer moins longtemps, on devra lui reconnaître qualités et originalité.
D'abord, il a la qualité de regrouper des acteurs formidables, à commencer par Jean Dujardin, impeccable dans le rôle du colonel Picquart, et tous les interprètes des officiers, sans oublier Mathieu Amalric dans le rôle de Bertillon, le spécialiste de la graphologie et de l'anthropométrie. Les décors soignés et les images aussi sombres que l'affaire concourent aussi à la réussite du film. La réunion avec Clemenceau et Zola, la lecture d'extraits du fameux article de l'Aurore, soutiennent bien le choix du titre.
Surtout c'est l'originalité du point de vue retenu qui vaut d'aller voir ce film. Dépassant, mais sans l'oublier, l'analyse traditionnelle d'une opinion coupée en deux camps, dreyfusards et anti-dreyfusards, le parti pris de Roman Polanski a un double avantage. D'une part il insiste sur la prise de conscience de Picquart que Dreyfus n'est pas coupable parce que le conseil de guerre l'a condamné sur les faux du dossier secret alors qu'Esterhazy devrait être condamné. D'autre part et contrairement au discours habituel qui dénonce uniquement une erreur judiciaire, il montre qu'il y a aussi une conspiration des officiers de l'Etat-major et du ministère de la Guerre pour faire un coup d'éclat, alors que les prétendus secrets d'état communiqués à l'ambassade d'Allemagne ne seraient que des notes allusives plutôt que de réels secrets militaires. À travers Zola, ce sont ces hommes que Picquart accuse.
Dans le revirement de Picquart, le déclic vient de l'attitude de son subordonné, Henry, qui rapidement provoque malaise et soupçon. Ceux qui voudraient voir en Picquart le porte-drapeau du camp dreyfusard seront déçus. Il n'éprouve aucune sympathie pour les Juifs. Quand il découvre le pot aux roses son devoir est de faire triompher la vérité et la justice, son combat vise à sauver l'honneur de l'armée massacré par des officiers médiocres à qui l'esprit de corps avait fait perdre toute hauteur de vue, et se cramponnant sur la chose jugée, pas d'héroïser Dreyfus — que l'on voit peu à l'écran.
En conséquence, ce film habile ne raconte pas tout par le détail. Cela a déjà été fait dans le téléfilm que j'ai mentionné et dans le livre méticuleux de Jean-Denis Bredin (L'Affaire,1981) pour n'en citer qu'un. Pour ces raisons, un spectateur qui ignorerait les tenants et aboutissants de cette affaire ne trouverait pas, me semble-t-il, beaucoup d'intérêt à ce film. Goûter vraiment cette œuvre remarquable requiert donc d'avoir déjà en tête une certaine connaissance du sujet et du contexte.
• J'accuse ! Film de Roman Polanski. 2019. 2h 12 min. Grand prix du jury de la Mostra de Venise.