Directeur de recherche à l’Inserm, Michel Desmurget a passé trois ans à élaborer la première synthèse des études scientifiques internationales consacrées aux effets des écrans sur le cerveau des bébés, des enfants et des adolescents.
Cet essai c’est le cri d’un homme en colère : la consommation excessive de numérique récréatif endommage les capacités cérébrales des jeunes ; son utilisation mal maîtrisée à l’école a montré son inefficacité. « Ce que nous faisons subir à nos enfants est inexcusable. Jamais sans doute, dans l’histoire de l’humanité, une telle expérience de décérébration n’avait été conduite à aussi grande échelle » s’exclame l’auteur. Il dénonce autant « l’information grand public qui manque de rigueur et de fiabilité » que la cupidité économique. Il fait toutefois la part des choses et ne nie pas les avantages des outils numériques dans la vie professionnelle ou la recherche d’informations. Mais il met en garde contre leur consommation abusive. Dans les pays occidentaux, en moyenne, les enfants de 2 ans cumulent chaque jour 3 heures d’écran ; de 8 à 12 ans, 4h 45 ; de 13 à 18 ans, 6h 45 !!!
Smartphones, tablettes ou télévision, « l’orgie d’écrans récréatifs » est chronophage. Elle perturbe le fonctionnement du cerveau qui n’a pas été conçu pour le multitasking, trouble le sommeil, affecte la concentration, la mémorisation autant que les capacités langagières : les performances scolaires en pâtissent. En outre, en augmentant la sédentarité les écrans sont facteur d’obésité. Enfin, ils peuvent exposer les jeunes à des contenus à risque tels la violence, le sexe, l’alcool ou le tabagisme. L’excès de numérique récréatif réduit le dialogue et les interactions humaines et rend difficile l’entrée dans le monde de l’écriture.
En milieu scolaire, Michel Desmurget reconnaît certains avantages des outils numériques s’ils sont manipulés par des maîtres formés et compétents. Cependant, des études montrent « que les enfants qui apprennent à écrire sur ordinateur ont beaucoup plus de mal à retenir et reconnaître les lettres que ceux qui apprennent avec un crayon et une feuille de papier. Ils ont également plus de difficultés à apprendre à lire ». L’auteur dénonce les « politiques effrénées de numérisation du système scolaire » dans le seul but de réduire les dépenses éducatives : un professeur est aujourd’hui difficile à recruter, dur à former et coûte cher. Michel Desmurget ne mâche pas ses mots : « Il faut camoufler la paupérisation intellectuelle du corps enseignant » : avec le numérique « les vieux dinosaures pré-digitaux » ne sont plus que des facilitateurs devant les outils numériques... Or « à ce jour un seul levier est efficace pour le devenir des élèves : l’enseignant qualifié et bien formé ».
Alarmiste certes mais optimiste, le chercheur constate que les professionnels de l’enfance commencent à prendre conscience de la catastrophe.
Il suggère aux parents d’établir des limites à l’usage du numérique : pas d’écran le matin avant l’école ni le soir avant le coucher, etc... Autant de remarques de bon sens si les parents veulent assurer l’épanouissement de leur enfant.
Mêlant le polémique à l’humour, cet essai devrait faire réagir. Hélas Emmanuel Macron ne semble pas sensible à cette alerte. Peut-être pourrait-on lui faire remarquer qu’à Taïwan, dont les élèves sont les meilleurs du monde, une loi inflige de fortes amendes aux parents qui ne limitent pas le temps d’usage des écrans aux jeunes de 2 à 18 ans ? Ou encore qu’aux USA, des écoles en pointe dans l’utilisation d’ordinateurs y ont renoncé « devant l’absence de résultats probants » ? Le chemin promet d’être encore long, hélas, dans l’Éducation Nationale !
• Michel Desmurget : La Fabrique du Crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants. Seuil, septembre 2019, 425 pages.
Chroniqué par Kate