Ces Mélanges réunissent quinze contributions en hommage au professeur Jacques Weber, indianiste réputé, spécialiste de Pondichéry, qui a enseigné à l'Université de Nantes. Ce sont justement ses anciens étudiants, ses anciens thésards, réunis sous la direction de Virginie Chaillou-Atrous et de Pierre-Étienne Penot, qui ont permis ce livre. Le sous-titre du recueil, Cultures, colonialismes et impérialismes indique pleinement les centres d'intérêt de leurs travaux, dont ce bref compte-rendu prétend simplement effleurer l'importance. Ces lectures variées permettent d'abord de préciser l'histoire coloniale de la France, montrant la diversité des acteurs et de leurs préoccupations. Mais, au-delà du cas spécifique de l'empire colonial français, c'est la notion même d'impérialisme qui se trouve ici revisitée jusqu'à nos jours.
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En tête viennent bien évidemment les travaux sur le monde indien. Bien après les foucades d'un gouverneur de Pondichéry en 1766 (R. Malangin), on apprend pourquoi l'Inde moderne, disons depuis 1914, a trop peu inspiré les chercheurs français, une « déconnexion » à laquelle le gouvernement français n'est pas étranger, qui ne reçut même pas officiellement en 1921 Rabindranath Tagore, premier prix Nobel non occidental lors de sa visite en France (S. Berthet), tandis que les musulmans indiens s'efforçaient de réagir à la fin du califat en 1924 finissant, notamment sur ce point, par rompre avec le Congrès national de Gandhi (M. Grolleau-Couton).
Passons au Maghreb. Les écrivains français de la Troisième République opposèrent exagérément Arabes et Berbères (M. Delcayre). « Qui dit Arabe dit voleur, sans exception » affirmait Guy de Maupassant, tandis qu'Isabelle Eberhardt jugeait « l'esprit berbère (…) républicain ». En même temps, leurs romans coloniaux dressaient les portraits remarquables de « figures de femmes atypiques » (S. Lahuec).
À la Réunion, où le racisme mélangeait couleurs de peau et préjugés sociaux (H. Gerbeau), l'apport des « engagés » indiens et africains suppléait de façon longtemps hypocrite l'arrêt de la traite et de l'esclavage (M. Marimoutou-Oberlé et V. Chaillou-Atrous). La France du Consulat avait relancé la traite négrière lors de la paix d'Amiens : qui étaient ces capitaines de 1802-1803 que certains prirent pour des héros à l'instar de Robert Surcouf, vu que plusieurs d'entre eux avaient mené des expéditions de corsaires de la République face à l'Angleterre honnie ? (E. Saugera).
D'autres études nous transportent jusqu'à l'Extrême-Orient. Les missionnaires catholiques s'efforcèrent de traduire en tibétain le vocabulaire de la foi chrétienne par une série de dictionnaires entre 1834 et 1936, avec le secours de l'étymologie et des racines grecques (L. Deshayes). Dans le même temps la France tenta de s'implanter au Fujian à partir de 1865, jusqu'à ce que l'amiral Courbet y mette fin en août 1884 en bombardant un arsenal que les ingénieurs français avaient construit pour moderniser la flotte chinoise ; le contexte de la conquête du Tonkin expliquait cette nouvelle tension entre la France et la Chine (Chr. Dubois). Autre échec, celui d'Air France en Indochine, étouffant peu à peu face à l'expansion japonaise en 1940-45 (Fr. Lambard).
Certains articles éclairent des situations plus contemporaines. Ainsi de la problématique résistance des Tibétains et des Ouighours à l'impérialisme han de Pékin (M. Porot), de la complaisance coupable de nombreux manuels scolaires français à l'endroit de l'impérialisme soviétique en Europe (P.-É. Penot), ou du peu de compréhension de la presse française — à l'exception du Monde — face à l'inquiétude des nouvelles républiques de l'Europe centrale après 1991, les organes de presse réprouvant plus ou moins l'extension de l'OTAN à ces pays, et minimisant d'éventuelles menaces russes sur ces jeunes démocraties (M. Wróblewska-Łysik).
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• Virginie Chaillou-Atrous et Pierre-Étienne Penot (dir.) : Outre-terre, outre-mer. Cultures, colonialisme, impérialisme. Mélanges pour Jacques Weber. Les Indes Savantes. 2019, 366 pages.