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Si nous ouvrons La Vie dangereuse, recueil de cinq récits initialement publié en 1938, les risques de l'existence ne devront pas nous surprendre : guerre de tranchées, folie humaine, aventure périlleuse, ou accident d'avion.

 

Pour commencer Blaise Cendrars se remémore sa traversée vers le Brésil ; à bord d'un cargo il retrouve un autre passager, jadis officier, dont il a importuné l'unité durant la guerre (Le rayon vert). Puis il se souvient de son hospitalisation à la suite de sa blessure de guerre et des soins attentifs d'une infirmière bénévole, Mme Adrienne (J'ai saigné), tandis qu'un médecin militaire n'a pas eu tant d'égards pour ses patients. Mais regardons d'un peu plus près les deux textes qui ont ma préférence. Le dernier texte (La femme aimée), consiste en une histoire assez typique de l'écriture dégingandée de Cendrars. Brièvement reclus dans sa maison de campagne d'Ile-de-France, il se force à rédiger et terminer le livre que l'éditeur lui demande avec insistance, quand un musicien venu tout exprès de Londres lui offre de composer dans l'urgence le livret d'un opéra inspiré d'une aventure tragique en Terre Adélie. Mais le projet n'ira pas à son terme.

Au Brésil, Cendrars visite avec Albert Londres le pénitencier de Rio de Janeiro lors d'une fête entre prisonniers — apparemment tous noirs — c'était « un charivari » musical assez bien fait pour épater le grand reporter. Mais dans un quartier de haute sécurité, un prisonnier capte toute l'attention de Cendrars. Fils d'un boucher du Minas Gerais, « Fébronio était du clan du Buffle » et le « lointain descendant d'un grand sorcier d'Afrique ». Il lui était apparu une sorte de fée qui l'envouta et lui déclara que « Dieu n'était pas mort » et qu'en conséquence il devait écrire un nouvel évangile, les Révélations du Prince du Feu, livre qui énerve Cendrars parce qu'introuvable. Dans sa folie, Fébronio était devenu un serial killer sadique qui tuait des jeunes gens après les avoir tatoués de lettres au sens mystérieux. Rencontres fatales !

On le voit bien, les rencontres tiennent une place essentielle dans ces récits et il n'y aurait pas de livre sans elles, que ce soit la rencontre avec Saint-Exupéry — qui ne donne qu'un texte bref (Anecdotique) — ou celles liées au séjour brésilien depuis les danseurs d'un bal masqué dans la nuit bahianaise jusqu'à Béatrix, la cantatrice portugaise pour qui un projet d'opéra aurait dû faire accourir Cendrars à Copenhague alors qu'en réalité c'est à Biarritz que l'histoire le conduira…

 

 

Ces histoires nous parlent finalement plus de Cendrars que de quiconque. D'ailleurs il n'hésite pas à se mettre en scène lui-même dans sa bougeotte.

« Vous n'en avez pas assez de partir ? » insiste Mme Tissot l'aubergiste qui lui mijote des petits plats dans La Femme aimée. « Vous avez le diable au corps, vous ne pouvez tenir en place ». Il y a comme l'écho de l'agitation moderne dans les confessions qu'il fait sur sa vie et son métier d'écrivain. « Écrire est la chose la plus contraire à mon tempérament et je souffre comme un damné de rester enfermé entre quatre murs et de noircir du papier quand, dehors, la vie grouille, que j'entends la trompe des autos sur la route, le sifflet des locomotives, la sirène des paquebots, le ronronnement des moteurs d'avions et que je pense à des villes exotiques pleines de boutiques épatantes, à des pays perdus que je ne connais pas encore, à toutes les femmes que je pourrais rencontrer et avec qui je perdrais volontiers mon temps… »

Auteur pressé, les énumérations lui permettent de gagner un peu de temps car toujours les imprévus arrivent : « visite, lettre, câble, coup de téléphone, rencontre, qui m'arrachent à mes écritures ». Et voilà l'auteur en route vers un ailleurs, parti fouetter un autre chat… « Et voilà pourquoi ma production est si irrégulière et mes livres si différents les uns des autres, ce qui fait le désespoir de mon éditeur, qui ne sait jamais quand il peut compter sur moi, et des critiques, qui ne savent dans quelle catégorie d'écrivains me classer… »

Inclassable Cendrars, donc !

 

Blaise Cendrars. La Vie dangereuse. Grasset, Les Cahiers rouges, 1987, 278 pages.

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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