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Publiée en 1942, l'histoire que nous raconte Pearl Buck est tout à la fois l'histoire d'un homme, d'une famille, d'un pays.

 

L'action de Fils de dragon [Dragon Seed] se situe dans un village proche d'une grande ville. Ling Tan est un paysan plutôt aisé, un gros travailleur comme Wang Lung dans La Terre chinoise, deux romans très enracinés dans la campagne chinoise façonnée par les rizières.

 

À la veille de la guerre sino-japonaise, Ling Tan se soucie principalement de ses fils : l'aîné, Lao Ta a déjà un fils, le cadet Lao Er est juste marié, et le benjamin, Lao San, seize ans, est simplement affecté à la garde du buffle, à le faire paître « quelque part là-bas sur les vertes collines herbeuses qui dominent la vallée ». Les femmes ensuite : l'épouse Ling Sao, tout entière dévouée à la maisonnée, les belles-filles, l'une surtout préoccupée de sa descendance, l'autre Jade, presque une intellectuelle aux champs, sait lire et écrire et son mari Lao Er se rend en ville pour lui acheter Au bord de l'eau, le célèbre roman d'aventures et de brigands. Enfin les deux filles de Ling Tan, l'aînée bien mariée à Wu Lien, un commerçant de la ville, et la petite, Pansiao, reléguée au métier à tisser.

 

Ce temps de paix et de prospérité s'effondre avec la guerre. D'abord des manifestants anti-japonais ont pillé la boutique de Wu Lien revendeur de produits importés. Bientôt l'agression japonaise de l'été 1937 se répercute sur la vie de Ling Tan et des siens. Elle est évoquée dans toute sa violence choquante : ce sont d'abord les « vaisseaux volants » de l'ennemi qui larguent leurs bombes sur la ville, puis c'est le déchaînement des troupes qui violent les femmes et assassinent les hommes qui se trouvent sur leur route. L'auteure s'inspire ici du terrible crime de guerre contre Nanjing, la capitale que Chiang Kai-chek a dû abandonner pour se replier vers l'intérieur avec son gouvernement tandis que s'écoulent des flots de réfugiés (Ceci fait penser au roman Destination Tchoungking de Han Suyin, 1942). La famille de Ling Tan est consternée. Devant les viols commis par les soldats de Hiro-Hito, on décide que Jade est trop belle pour courir le risque de rester au village ; elle part avec son mari, comme les réfugiés, vers les collines. Ling Sao, son autre belle-fille et les enfants trouvent refuge dans l'établissement d'une missionnaire étrangère en ville, et la jeune Pansiao est évacuée vers une école d'une province reculée. Quant à Wu Lien il choisit de collaborer avec l'armée japonaise et de servir le gouvernement fantoche qui en dépend. Pendant qu'à la ville son gendre prospère, à la ferme Ling Tan subit le pillage des troupes japonaises et pour sauver quelques provisions et se protéger, il creuse une cache sous sa maison. Devenu chef des maquisards des collines, Lao San fait de la ferme familiale un repaire pour son organisation.

 

Curieusement, Pearl Buck ne cite aucun nom de parti ou d'organisation résistante, ni nationaliste ni communiste, aucun nom de leader combattant l'agression du « peuple de la mer du Levant ». Elle a concocté pour l'un des fils de Ling Tan une fin ouverte en forme de “happy end” improbable mais tellement romantique. Dans son école perdue, Pansiao a un jour reçu une lettre de Jade : trouver un mari pour Lao San, car le héros de la résistance est en train de devenir une vraie brute qui sera incapable de revenir à la vie civile après la guerre. Comme par hasard, Pansiao voit débarquer Mayli, une jeune professeure chinoise revenue d'un pays lointain. Comme par hasard, Mayli vient se recueillir sur la tombe de sa mère au village qui n'est autre que celui de la famille Ling. Comme par hasard, Lao San est à la ferme de ses parents quand Mayli pilotée par Wu Lien leur rend visite. C'est le coup de foudre ! En attendant un incroyable mariage, Mayli part pour le Yunnan, où la lutte s'organise contre les envahisseurs, tandis qu'au village Jade vit dans le dénuement et pense qu'elle va rater sa vie... mais accouche de jumeaux.

 

Au fil de ce gros roman, riche de détails précis si caractéristiques de l'écriture de Pearl Buck, l'importance de la famille et de la descendance masculine est omniprésente. Les fils comptent d'abord comme travailleurs à la ferme qu'ils exploitent sous la direction de leur père. Les fils aussi sont la garantie du culte des ancêtres, la certitude de la permanence du nom, l'un des cent noms traditionnels des Hans. Les fils enfin sont l'avenir de la patrie, ils se battront pour elle s'il le faut ; ils assureront la continuité de la civilisation par excellence, celle de l'empire du milieu. Je trouve que l'auteure a développé avec pertinence ces considérations en de multiples passages du roman et que cela fait d'elle une écrivaine pleinement chinoise et soucieuse de montrer les conventions et tournures par exemple, dire « la mère de mes enfants » au lieu de : mon épouse. Enfin, il ressort une nette opposition ville-campagne, où la campagne réunit production et valeur morale alors que la ville est le lieu des échanges et de la corruption, le lieu où les informations circulent mais aussi l'opium — les deux occupations du cousin lettré qui a fui sa ferme et sa femme.

En somme, voici un remarquable portrait idéalisé de la société chinoise à la veille de la République populaire.

 

Pearl Buck : Fils de dragon. Traduction de Jane Fillion. Archipoche, 2018, 397 pages.

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ETATS-UNIS, #LITTERATURE CHINE
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