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   Paru chez Plon en 2014, ce petit essai polémique n’a rien perdu de son actualité.

    Alors qu’il était jeune professeur agrégé de philosophie, F-X Bellamy n’a pu qu’être choqué par la remarque d’un inspecteur général : « Vous n’avez rien à transmettre » ! Il s’ensuit des cohortes de jeunes « déshérités », privés de tout héritage culturel.

    Comme le rappelle l’auteur, Descartes, Rousseau et Bourdieu ont, chacun en leur temps et à leur manière, induit ce rejet de la transmission. Depuis les années 1970 la nouvelle pédagogie considère que la langue française, trop complexe, est « coercitive et discriminatoire », l’orthographe « fasciste » comme le prétendait Barthes ; enfin, transmettre aux élèves une culture est « un héritage d’aliénation et d’enfermement ».

 

    C’est dans cet esprit, et pour lutter contre la discrimination par la culture que Valérie Pécresse a voulu supprimer l’épreuve de culture générale au concours de Sciences Po. Reste au professeur, pour ne pas entraver la liberté de l’élève, à lui enseigner seulement des savoirs-être et des savoirs faire, à l’éduquer à des méthodes sans lui transmettre des connaissances : l’élève les construira seul, en s’aidant du Web et de ses expériences. Les livres n’ont plus d’intérêt que distrayants, « ne requérant ni ennui ni effort »... Selon l’auteur, les enseignants  ne fournissent plus à l’élève qu’un bagage culturel minimal à fin utilitaire, car rien ne doit entraver sa liberté de penser et de choisir. En conséquence, dépourvus de tout héritage culturel, les jeunes deviennent « esclaves de l’immédiateté », privés de repères qui les aideraient à fonder leurs choix. Faire table rase des grands auteurs, de l’histoire ou des sciences ne les rend pas plus libres ; au contraire c’est la transmission de la culture qui permet aux jeunes de construire leur pensée personnelle, de développer leur jugement critique et d’être ainsi moins influençables : « nous avons demandé à nos enseignants de ne plus enseigner, de se contenter d’organiser les conditions d’apprentissage de leurs élèves et maintenant nous n’arrivons pas à croire que le niveau baisse » !!! De plus « l’appauvrissement massif du vocabulaire contemporain » laisse les jeunes déshérités. « Or à celui qui n’a pas reçu de mots pour s’exprimer, il ne reste plus que la voie de la violence ». En outre, « notre post-modernité n’accepte plus les différences » : son idéal d’humanisme universel, où chacun se veut libre de tout attachement et se construit sans rien devoir à quiconque est une illusion dangereuse, entretenue par la mondialisation qui nivelle les différences : ainsi se répand l’indifférence à autrui. Notre société, au regard de l’auteur, n’est plus qu’un monde « d’individus indéterminés, indifférenciés et indifférents, acteurs et produits parfaits de la société de consommation ».

 

    L’auteur certes use de l’exagération et monte en généralité. Toutefois ses propos ne manquent pas de clairvoyance lorsqu’il suggère de « renouer avec la transmission du savoir, de la langue, de la science et de la culture pour construire en chaque jeune une pensée consistante, libre et librement liée aux racines communes qui nous font tenir ensemble ». Seule la connaissance de leur culture particulière permet aux jeunes de comprendre les différences, d’accepter l’altérité. Sans elle l’homme n’est qu' « un sauvage fait pour habiter dans des villes » selon la formule de Rousseau. Et ces « sauvages » consuméristes, agressifs et sans vie intérieure prolifèrent sur les réseaux sociaux.

    Malgré ses limites l’analyse de F-X Bellamy donne encore à réfléchir.


 

   • François-Xavier Bellamy. Les Déshérités ou l'urgence de transmettre. Plon, 2014, et J'ai Lu, 2019, 220 pages.

Chroniqué par Kate

Tag(s) : #EDUCATION, #ESSAIS
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