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La splendide nature morte de couverture, œuvre de la photographe new-yorkaise Paulette Tavormina, nous relie directement à un genre, la nature morte, dont l'apogée se situe de l'avis de beaucoup au Siècle d'Or de l'art hollandais, un siècle qui est loin de se résumer à Rembrandt et Vermeer. Ces terres calvinistes ont donné naissance à des dizaines, des centaines de peintres, pour alimenter un vaste marché de l'art. En 2014 Donna Tartt a brillamment tiré de l'oubli Carel Fabritius avec son Chardonneret. Voici maintenant Colin Thibert qui nous fait découvrir à Haarlem un peintre à peu près inconnu : le mystérieux Johannes van der Beeck alias Torrentius.

 

Peintre quasi inconnu, c'est le cas de le dire : le Rijksmuseum n'en a conservé de Torrentius qu'un tondo d'environ 50 centimètres de diamètre qui se présente comme une allégorie de la tempérance datée de 1614. L'image est frontale contrairement à la majorité des natures mortes que le regard aborde en léger surplomb. Sur le fond noir du tableau, un mors de cheval se devine à peine. Un pot et une cruche encadrent un verre qualifié de roemer par le catalogue du musée. À son pied, deux pipes en terre dont le fourneau est tourné vers le bas. En dessous, une partition de musique contient un message explicite en néerlandais qu'on peut ainsi traduire : celui qui excède la mesure et tombe dans l'excès tournera mal. Et c'est exactement le cas de Torrentius qui fut tout sauf tempérant ainsi que le romancier nous l'apprend.

 

Peintre exigeant, gagnant bien sa vie en vendant de surcroit des gravures érotiques qu'il signe v.d.b., l'artiste a une très haute idée de sa valeur. N'a-t-il pas transformé le ruisseau de son nom (beeck) en un torrent ? Vêtu de riches vêtements colorés qui contrastent avec la noirceur généralisée de la mode calviniste du temps, portant bijoux, il fréquente assidument les tavernes et les filles faciles et sa réputation choque les puritains qu'il méprise. À ses clients stupéfaits de la précision de sa peinture il s'amuse à dire que le Diable guide ses pinceaux. On le dit même rosicrucien. Les rumeurs malveillantes arrivent aux oreilles des prédicants. L'un d'eux convainc le bailli Velsaert d'enquêter sur ce provocateur, ce mécréant, cet esprit fort qui ose blasphémer. Dès lors le peintre vit une descente aux enfers judiciaire, la prison, la torture, l'autodafé de ses œuvres…

 

Colin Thibert a dû inventer beaucoup car les sources étaient maigres. Agissant pour le compte du roi d'Angleterre Charles Ier, le diplomate Brigby a traversé la mer du Nord pour acquérir estampes coquines et toiles de maître afin de compléter les collections royales. Réussira-t-il à sauver Torrentius des griffes d'une justice fanatique ? L'artiste sera-t-il encore capable de créer après avoir subi la prison et la torture ?

 

Une lecture très plaisante que ce petit roman ! On regrette seulement qu'il ne soit pas plus épais...

 

Colin Thibert. Torrentius. Éditions Héloïse d'Ormesson, août 2019, 123 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #BEAUX ARTS
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