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Trois mots-clés dans ce premier roman de l'historien Antoine de Baecque : vampirisme, sexe et guillotine. Le roman met en scène des aristocrates, surnommés les talons rouges — il s'agit des Villemort — ayant château en Parisis et hôtel particulier dans le Marais, alors que 1789 les divise.

 

Le livre propose un récit vivant et compréhensif de la Révolution agrémenté de scènes violentes et sanglantes avec une forte présence de la guillotine et du corps de ses victimes sanglants jusque dans les cimetières de Paris où ils attirent les vampires. D'un côté le chef du clan, le vieux duc Henry de Villemort défend la tradition de l'absolutisme. De l'autre, William est revenu d'Amérique après s'être battu pour la cause des Insurgents et il initie son neveu Louis aux idées nouvelles, et ils seront des pionniers de la cause républicaine avec « des audaces que la vieille France n'imaginerait pas ». Louis deviendra un personnage important de la Révolution. Il contribuera au vote de la mort du roi. Mais l'histoire et l'Histoire ne s'arrêtent pas là.

Chez les Villemort la tradition vampirique vient non pas du fond des âges, mais de 1611, quand Henry mourut au cours d'une chasse au sanglier après avoir dû enfermer sa maîtresse dans un cachot au manoir. Toujours vivant en 1789, Henry voit la belle Eugénie, sa fille vampire et mystique, ramenée morte à l'hôtel particulier après une nocturne chasse à l'homme dans un Paris en ébullition. William et son neveu Louis, eux, cherchent à s'extraire de cette atmosphère vampirique qui constamment les menace ! Tandis que plusieurs aristocrates émigrent et que d'autres complotent pour sauver le roi et organisent les Chevaliers du poignard, William et Louis fréquentent les clubs politiques qui fleurissent après la prise de la Bastille. Ils deviennent des piliers du club des Jacobins. Élu député, Louis se retrouve dans l'entourage de Robespierre qui vient de créer la Fête de la Raison.

Dans le même temps Louis vit une histoire d'amour avec Marie de Méricourt, jolie modèle rencontrée chez le peintre Lavis chez qui on pose pour la réalisation d'œuvres de propagande révolutionnaire. Quelques scènes des ébats amoureux de Louis et de Marie — auxquels se joindra son amie Sophie Lepeletier — nous valent des passages pornographiques dans un ton proche du siècle des Lumières. Et quand ils couchent ensemble le 9 Thermidor An II, Marie et Louis s'évitent de partir à la guillotine avec toute l'équipe de Robespierre.

20 brumaire An II - Fête de la Raison

L'accouplement de la fiction et de l'histoire engendre ici des chimères et des monstres pour notre plaisir. L'auteur a magistralement tissé la réalité avec l'imaginaire ; il n'est pas toujours aisé de démêler le véridique du fictif. Bel hommage à la liberté du romancier.

En romancier, Antoine de Baecque a réuni des personnages totalement inventés (les Villemort), des dizaines de personnages biens réels (Robespierre, Lepeletier de Saint-Fargeau …), et des personnages modifiés. Ainsi Théroigne de Méricourt a inspiré Pélagie ; elles ont partagé le surnom de « belle Liégeoise » mais Pélagie n'a pas fini ses jours avec les fous en 1817 à la Salpêtrière puisqu'elle est morte sur l'échafaud avec Danton. Sophie Lepeletier de Saint-Fargeau semble avoir été inventée ; la fille du grand homme s'appelait Louise-Suzanne. L'ancien esclave Oloda Equiano, au lieu de finir ses jours en Angleterre, est revenu d'Amérique avec William de Villemort pour rejoindre à Paris la cause des abolitionnistes en 1789. Avec le chevalier de Saint-George il a formé une légion de combattants de couleur qui est cantonnée à la barrière de la Villette désertée par l'octroi. William les rejoint et les soutient. Ils participent à la prise des Tuileries le Dix-Août avant de se préparer à rejoindre les révoltés de Saint-Domingue. L'auteur imagine aussi que William de Villemort s'est rendu célèbre comme avocat des abolitionnistes dans l'affaire du Zong, une affaire bien réelle où un capitaine négrier avait jeté à la mer en 1787 sa cargaison d'esclaves malades.

En historien érudit l'auteur dépeint remarquablement l'atmosphère de la Grande Peur durant laquelle une partie du château des Villemort brûle, mais surtout Paris sous la Révolution, avec les clubs et assemblées révolutionnaires, la lutte entre royalistes et républicains, l'action et la chute de Robespierre, et jusqu'à la réaction thermidorienne. Des épisodes dramatiques sont repris et développés, tel l'enlèvement de Pélagie/Théroigne de Méricourt par les Autrichiens ou encore la mort de Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau au restaurant Février où Louis Villemort avait réuni son entourage à dîner pour fêter la condamnation à mort de Louis XVI ; la Convention choisit le Panthéon pour recevoir la dépouille du martyr républicain dans une mise en scène extravagante. [Au 4 de la rue Neuve-des-Petits-champs, Antoine Février tenait un de ces établissements que l'historien vient d'étudier dans son ouvrage La France gastronome. Comment le restaurant est entré dans notre histoire, 2019.]

 

Trop de sang versé dira-t-on. La Révolution et la Contre-Révolution en ont tant versé qu'il était inutile de rajouter ces histoires de vampires qu'on fréquente de manière peut-être plus convaincante dans les Balkans. Mais on ne doit pas oublier la métaphore de l'aristocratie suçant le sang du peuple, autrement dit vampire. Voilà de quoi régaler les amateurs d'histoire…

 

• Antoine de Baecque. Les talons rouges. Stock, 2017, et Livre de Poche, 2019, 277 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #HISTOIRE 1789-1900
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