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   Tahar Ben Jelloun a qualifié son récit de « thriller tragi-comique, une fable cruelle ». Mêlant le tragique à l’humour, le fantastique au burlesque il aborde certaines des questions fondamentales de l’existence : le romancier connaît les codes et les lois du conte.

Le narrateur anonyme, scénariste tangérois, souffre d’insomnie. Divorcé, vivant seul, ses angoisses l’empêchent de lâcher prise. Résistant à la psychanalyse comme à l’hypnose il refuse tous les médicaments en raison de leurs effets secondaires. C’est une problématique de santé psychique contemporaine que l’auteur soumet au lecteur.

Car l’insomnie mène à la folie : retrouver le sommeil, rêver, c’est redevenir « un homme libre », « normal ».

Le scénariste a jadis voulu épargner à sa mère en fin de vie « le calvaire des hôpitaux publics du Maroc ». En l’étouffant , en soulageant ses souffrances, il l’a « aidée à mourir dignement » et a découvert que ce geste lui rendait le  sommeil. Ne se sentant pas coupable, il ne lui a pas demandé pardon : son geste était libérateur. Ben Jelloun pose, en recourant au fantastique noir, le problème très actuel de l’euthanasie, le meilleur somnifère. Le scénariste n’a rien d’un psychopathe : dans ses scénarios son propre personnage aide à mourir uniquement des malades proches de leur fin. Et chacun lui procure des PCS, des points crédit sommeil : plus la personne est riche, plus nombreux sont les points obtenus. C’est un geste d’humanité, d’autant plus que la législation marocaine interdit l’euthanasie.

« Je ne suis pas un monstre » affirme-t-il. Il se définit comme un « hâteur de mort », celui qui donne un coup de pouce à la mort (...) je suis une sorte d’ange, disons « l’ange exterminateur ».

L’auteur ironise avec malice sur la corruption de la justice, de la police et de nombreux hommes d’affaires marocains. Mais au fil de ce conte cruel, c’est « l’insondable légèreté de notre existence » qui se rappelle au lecteur. Une fois étouffés, le pauvre le gangster ou le big boss se révèlent tels qu’en eux-mêmes « petite chose fébrile, corps chétif devenu un morceau de bois »... « rien qu’un homme parmi tant d’autres, rendu à la terre dans sa nudité absolue ».

Jouant de la fragilité de la vie, le scénariste en vient à songer à sa propre fin. Elle viendra, suite à une overdose de PCS, cadeau du plus riche banquier du Maroc...

Comme dans tous les grands contes, c’est au second degré que le récit fait sens. Tahar Ben Jelloun sait enchanter pour interpeller : tel le vrai conteur.
 

Tahar Ben Jelloun. L'Insomnie. Gallimard, 2019, 259 pages.

Chroniqué par Kate

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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