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Elle est sans aucun doute la plus réputée des ambassadrices de notre pays. Actuellement en poste à Moscou après Londres, Sylvie Bermann fut ambassadeur de France en Chine de 2011-2014, pays qu'elle connaissait déjà bien pour y avoir été étudiante à la sortie de Sciences Po en 1976-77 puis jeune diplomate en 1980-82 et ensuite chargée de la Chine au Quai d'Orsay.

La lecture de son passionnant ouvrage — mi-essai mi-mémoires — livre l'essentiel de ce qu'il fait savoir sur l'histoire de la Chine contemporaine depuis « la perte du mandat du Ciel » au XIXe siècle jusqu'à l'établissement du pouvoir autoritaire de Xi Jinping. Par ses séjours successifs dans l'Empire du Milieu, elle a été témoin de ses profonds et rapides changements : elle a vécu les catastrophes de la Révolution Culturelle, la chute de la Bande des Quatre et le retour triomphal de Deng Xiaoping au pouvoir. Elle a vu naître la ville nouvelle de Shenzhen, qui n'était encore qu'un minuscule port de pêche proche de Hong Kong avant que Deng ne le désigne comme lieu privilégié de sa nouvelle politique économique.

Tous les succès de la nouvelle Chine sont là : l'usine du monde, l'urbanisation foudroyante, le succès d'Internet, l'innovation dans les nouvelles technologies. Le secteur privé représente déjà 60% du PIB, bien loin du système communiste du temps de Mao. Néanmoins Mao reste une icône sacrée : depuis l'accès sud de la Cité interdite le portrait du fondateur de la nouvelle “dynastie” impériale domine toujours la place Tien An Men. C'est Mao qui a prédit le redressement que la Chine a réalisé au XXIe siècle, retrouvant sa position traditionnelle de civilisation et d'empire pluri-millénaire sous la direction d'un énorme parti de cadres, un parti unique dit communiste qui va bientôt fêter ses cent ans. La crainte du régime est de voir s'éloigner les jeunes générations nées bien après Tien An Man (un événement chassé de la mémoire officielle). Le régime d'aujourd'hui a choisi le contrôle plus étroit de la population par des technologies high tech et en même temps Confucius est devenu la nouvelle référence idéologique : comme si le vieux Maître Kong était revenu pour remplacer Marx voire Mao. C'est au nom du vieux sage que le soft power chinois ouvre à grands frais dans le monde les Instituts Confucius pour diffuser le mandarin et bien davantage. Marx prônait la lutte des classes. Confucius prône l'harmonie. C'est très beau, mais l'idée d'harmonie à la sauce Xi Jinping comporte aussi une face sombre : l'interdiction de toute critique politique.

L'auteure complète la liste des points noirs et difficultés que rencontre cette nouvelle puissance. La question des minorités nationales (Tibétains, Ouïghours…), le défi de Hong Kong rétive au contrôle de Pékin, la pollution née de l'industrie lourde dévoreuse de charbon et des flots de voitures, la méfiance envers les produits alimentaires de qualité douteuse, etc. Ce n'est pas une raison pour oublier les mérites de ce pays qui ne se contente plus de copier, réussit à innover par exemple en se dotant en quelques années d'un remarquable réseau de TGV, en développant l'énergie solaire et éolienne, ou encore les véhicules électriques, etc.

La place de la Chine dans le monde est désormais celle d'un vrai leader, nationaliste et sans complexe. Depuis peu la Chine ne cherche plus à passer inaperçue à l'ONU. Elle se mesure aux USA. Elle s'affirme en Asie, en Afrique, en Amérique latine (d'où le titre). Les Routes de la Soie, version terrestre et version maritime, étirent jusqu'en Europe les tentacules d'une pieuvre planétaire jugent certains devenus très méfiants à l'égard des intentions de Pékin. Si la France — le pays du luxe et du romantisme aux yeux des Chinois — continue de compter des sinophiles, en même temps on y jette un regard critique sur un pays qui met en prison les avocats de la défense — une profession qui avait disparu sous Mao — ne dispose plus de presse indépendante et déteste l'attribution de prix Nobel à ses intellectuels. C'est là encore affaire d' “harmonie”.

D'un bout à l'autre de son livre on apprend que Sylvie Bermann a été très sensible à la culture chinoise, qu'elle soit ancienne ou contemporaine, citant le groupe d'artistes peintres et plasticiens “Les Étoiles”, et citant plusieurs écrivains comme Yu Hua (Brothers, La Chine en dix mots). L'illustration de couverture reprend une toile d'un des peintres actuels les plus connus de Chine, Zeng Fanzhi (Fly, 2000).

Un livre très riche et très instructif.

Sylvie Bermann. La Chine en eaux profondes. Stock, 2017, 339 pages.


 

Tag(s) : #ESSAIS, #CHINE, #HISTOIRE 1900 - 2000
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