Voici un beau roman d’amour à la chinoise, dans l’esprit et la langue de l’époque que Pearl Buck a su s’approprier. Elle en restitue avec justesse la naïveté, la grandiloquence, le sentimentalisme romantique. On pleure souvent dans ce genre de récit, comme Kwei-Lan, la narratrice, qui raconte des moments forts de sa vie à une mystérieuse Sœur occidentale, la confidente du journal intime... La romancière sait filer les métaphores poétiques si caractéristiques de la littérature chinoise classique. Son intrigue lui permet de rendre sensible l’interpénétration des deux civilisations au début du XXe siècle, comment le vent d’Ouest se mêlant au vent d’Est provoque un séisme culturel dans l’esprit de la vieille Chine et bat en brèche l’ethnocentrisme : « les temps sont changés » et c’est le conflit ouvert des jeunes avec leurs aînés — les Vénérables — qui rend palpable ce bouleversement.
Kwei-Lan, mariée depuis peu à un jeune chinois formé aux USA à la médecine occidentale, n’a jamais quitté l’univers clos et luxueux de la riche demeure familiale. Elle a reçu l’éducation traditionnelle d’une « dame de condition » fondée sur l’obéissance, le respect de l’étiquette et l’art de plaire à l’époux. Sa vie ne lui appartient pas : elle existe pour concevoir des fils. Mais toute cette éducation reste sans effet sur son mari dont elle ne comprend pas les attentes : il la veut son égale et n’a pas l’obsession d’engendrer un garçon. La rencontre d’une amie de son mari, Madame Liu, chinoise occidentalisée, provoque une réaction de jalousie chez Kwei-Lan et elle commence à évoluer : « c’est l’amour qui m’a transformée » confie-t-elle. « Je veux être une femme moderne pour vous » déclare-t-elle à son époux. Toutefois elle peine à se détacher des anciennes coutumes comme de débander ses pieds. Candide, naïve elle s’étonne et se choque de tout ce qu’elle ne connaît pas, des vêtements occidentaux de son mari comme des manières de ses amis européens. Mais il l’instruit et elle découvre que les occidentaux « sont des hommes et des femmes comme les autres ». Au premier abord hostile à sa belle-sœur américaine, elle finit par la considérer comme son amie, Mary.
Mary, la femme de son frère épousée aux USA ! Par amour, l’aîné a désobéi, et en refusant la jeune fille qui lui était destinée depuis sa naissance il a transgressé toutes les règles. Sa mère rejetant cette étrangère, la rupture est définitive : « Je répudie le nom de Yang » déclare le jeune homme. Il renonce à son héritage, à la vie facile et oisive de son père ; il sera professeur, pour gagner sa vie et sa liberté.
Kwei-Lan avait accouché d’un fils, Mary met au monde un beau petit métis qui « a noué les deux mondes et lié en un seul les cœurs de ses parents ». Vent d’Est et vent d’Ouest souffleront désormais en harmonie.
Pearl Buck, américaine de naissance mais chinoise de cœur, invitait ses contemporains au dialogue des deux cultures. Près d’un siècle plus tard, son incitation à l’altérité, sa lutte contre les préjugés culturels reste toujours d’actualité.
• Pearl Buck. Vent d'Est, Vent d'Ouest. Traduit de l'anglais par Germaine Delamain. Stock, 1947, préface de Marc Chadourne [éd. Originale anglaise : 1930].
Chroniqué par Kate