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Notre monde serait devenu chrétien seulement parce que l'empereur Constantin en a ainsi décidé. Telle est la thèse provocatrice que soutient Paul Veyne dans ce livre qui par son ton alerte peut séduire le grand public. Par ailleurs l'historien prend quelques positions étonnantes — on n'en attendait pas moins du non-conformiste qu'il était.

 

L'essai est jalonné par les dates de 312 et 394. Commençons donc par le début. Tout se joue le 28 octobre 312. A la veille de livrer bataille pour reprendre le contrôle de Rome des mains de Maxence — on l'appellera bataille du Pont Milvius — Constantin eut un rêve et décida d'arborer lui-même le chrisme et de l'afficher sur les boucliers et les étendards de ses troupes. Ainsi porteuse de l'initiale du Christ, l'armée de Constantin fut victorieuse et entra dans Rome le 29 octobre, jour dont Paul Veyne fait « la borne-frontière entre l'antiquité païenne et l'époque chrétienne ». Dans la partie orientale de l'empire, Licinius fit un rêve similaire en 313 avant d'éliminer son rival. L'année suivant l'édit de Milan généralisait l'autorisation du christianisme sans en faire encore une religion d'état, les populations de l'empire restant païennes à 90 %, un peu moins en Afrique du nord où l'hérésie donatiste s'était développée et que Constantin fit combattre. Le labarum portant le symbolique chrisme apparut sur des monnaies frappées en 327, après l' élimination de Licinius et l'empereur s'installa ensuite dans sa nouvelle capitale avant de se faire baptiser tardivement, à l'heure de sa mort.

Présenté ainsi rien de moins qu'en « sauveur de l'humanité » Constantin a donc tout décidé lui-même. Sa seule volonté a révolutionné l'empire — Paul Veyne le compare sur ce point à… Lénine — et aucune autre explication que l'initiative personnelle de Constantin n'est acceptée par l'auteur pour expliquer ce coup de théâtre. Constantin avait juste fait le choix de la meilleure religion disponible sur le marché. Et à partir de ce moment le christianisme se serait développé de lui-même, les Romains se retrouvant chrétiens en quelque sorte pas contamination sous l'effet du prestige du pouvoir impérial et de l'influence d'élites locales qui élisaient les évêques.

394 maintenant. L'empereur Théodose est confronté à un problème à l'ouest où Eugène, un empereur fantoche et marionnette du général Arbogast, a pris des mesures de réaction païenne. Le 8 novembre 392, Théodose commença par interdire tout sacrifice et tout culte païen, même domestique. Puis la bataille décisive survint : le 6 septembre 394, dite de la Rivière froide, près de l'actuelle Gorizia. L'armée du Christ fut victorieuse car — par miracle — les flèches des troupes d'Arbogast firent demi-tour tant la bora soufflait fort ! Eugène fut décapité et Arbogast se suicida. Et très vite le christianisme devint une religion d'état intolérante qui ferma et détruisit les temples.

 

Entre ces deux dates-tournants, l'empire a connu la cohabitation du paganisme et du christianisme. Paul Veyne n'accorde pas beaucoup d'importance dans son livre à la résistance païenne. Il souligne toutefois que Constantin méprisait ces païens qu'il traitait de sots. Il faut revenir sur le choix de Constantin. Sa famille était supporter de Sol Invictus, c'était son « blason familial ». D'après Veyne, il n'était pas vraiment populaire, car trop abstrait, et sans reposer sur une économie du salut, sur la charité, sur la rédemption des péchés, etc. Pourtant quand Constantin fait du dimanche le jour de repos, le 7 mars 321, c'est en l'honneur non du Christ mais de Sol Invictus qu'on dit populaire dans l'armée mais refusé par les païens traditionalistes. Sa conversion au christianisme n'est donc encore qu'une idée toute personnelle ; il ne veut pas l'imposer à la vie publique. Il donnera du temps au temps.

Contrairement au paganisme qui se suffit de rites, le christianisme du IV° siècle constitue déjà une vaste vision du monde que l'auteur qualifie de « chef d'œuvre ». C'est pourquoi Constantin devient chrétien. « Ce n'était pas à un espoir pour l'au-delà qu'étaient dues les conversions, mais à quelque chose de beaucoup plus ample : à la découverte par le néophyte d'un vaste projet divin dont l'homme était le destinataire… ». Mais on ne sait pas réellement comment cela s'est produit pour Constantin, si c'est un pari en 312, si c'est déjà une conviction bien enracinée, et sous l'influence de qui. Par contre on sait que la famille impériale est devenue franchement chrétienne, comme sa mère Hélène, et comme son héritier Constance II.

Tel un « président de l'Eglise » et s'adressant aux évêques comme à ses « frères », Constantin intervient dans la vie de l'Eglise, et pas qu'un peu, puisqu'il en résulta le très important Concile de Nicée de 325, qui — pour n'en retenir qu'un élément — a défini le Credo. L'année suivante, Constantin ordonna le meurtre de Fausta et de Crispus, devenant ainsi le premier souverain chrétien à ne pas tenir compte du 5ème des Dix Commandements. C'est cela la raison d'Etat.

 

La notoriété de Paul Veyne a donné à ce livre une large publicité qui en a fait une sorte d'incontournable, mais on pourrait se demander s'il faut conseiller cette lecture aux étudiants en histoire ancienne ou bien plutôt Comment notre monde est devenu chrétien par Marie-Françoise Baslez (paru 2008).

A la lecture j'ai placé de nombreux points d'interrogation dans les marges des derniers chapitres surtout. Paul Veyne attribue à la christianisation de l'empire au IV° siècle le fait que le judaïsme devienne « solipsiste » et cesse tout « prosélytisme » après avoir eu « un grand succès dans l'empire païen ». Un grand succès, vraiment ? Moins que la « secte » élue par Constantin !

Le chapitre X est consacré à démolir toute explication historique d'ordre idéologique : « la notion d'idéologie est trompeuse… elle est trop rationnelle ». L'idéologie est « une illusion intellectualiste qui remonte aux sophistes grecs ». En fait par « idéologie » Paul Veyne veut surtout dire « marxisme ». Inutile de chercher à expliquer par le recours à des forces profondes ; une « élucubration inutilement ambitieuse » explique bien mieux les choses, et Veyne de prendre exemple sur Philippe II envoyant son Invincible Armada contre l'Angleterre. « Ne soyons pas dupes des termes généraux, ces vêtements trop amples de la pensée » conclut habilement Paul Veyne.

Enfin le chapitre XI « L'Europe a-t-elle des racines chrétiennes ? » est réellement fait pour surprendre, pour prendre à rebours le sujet d'actualité. « L'Europe n'a pas de racines, chrétiennes ou autres, elle s'est faite par étapes imprévisibles, aucune de ses composantes n'étant plus originelle qu'une autre. » L'auteur souligne bien sûr l'importance majeure des Lumières du XVIII° siècle dans l'élaboration de la civilisation européenne telle qu'elle est devenue aujourd'hui. En fait on se demande s'il n'y a pas chez Paul Veyne, qui reconnaît toutefois l'idée d' « héritage » et de « patrimoine », une volontaire incompréhension de ce qu'on entend habituellement par « racines » … pour être original à tout prix !

 

Paul Veyne. Quand notre monde est devenu chrétien (312-394). Albin Michel, 2007, 320 pages.

 

Tag(s) : #ANTIQUITE, #HISTOIRE GENERALE
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