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La narratrice, Nina Sergueïevna, est membre de l'Union des écrivains et vit de ses traductions. En février 1949, elle va passer un mois dans un centre de repos en pleine forêt à trois heures de train de Moscou où elle a laissé sa fille. Elle compte se plonger dans l'écriture — d'où le titre —. Mais au lieu d'y connaître seulement la solitude propice à ses travaux, elle se retrouve entourée d'un vieux poète juif dont la famille a péri durant la guerre mondiale, de critiques littéraires et de plusieurs romanciers comme Nikolaï Bilibine arrivé en même temps qu'elle. Tout un microcosme ! Au cours d'inévitables conversations et promenades dans la forêt enneigée, Nina et Bilibine se font des confidences. Nina revit l'arrestation de son mari médecin, Aliocha, condamné à « dix ans de camp sans droit de correspondance ». Elle a entrepris un livre à la mémoire du disparu. Bilibine, qui a lui-même passé des années comme zek dans une mine de charbon avant d'être envoyé au front en 1941, apprend à Nina que l'expression signifie que le condamné à été exécuté. Cela se passait en 1937.
Comme dans Sophia Petrovna, le précédent roman de Lydia Tchoukovskaïa, l'intérêt est pour une bonne part dû au contexte politique. Ici, dans La Plongée, l'actualité politique consiste en la nouvelle campagne de purges entreprise par Staline, qui en a confié la responsabilité à son ministre Jdanov. Cette fois-ci, alors que la guerre froide vit ses premières années, le dictateur a entrepris de lutter contre le « cosmopolitisme », entendez l'influence de l'étranger avec une forte dimension antisémite. Nous sommes donc de nouveau plongés — raison de plus du titre — dans l'horreur du stalinisme.
Durant leur séjour, le vieux poète juif, cet homme qui aime tant lire ses œuvres à Nina pour qu'elle juge de leur traduction russe, est discrètement arrêté en pleine nuit. Déjà, Bilibine a mis en garde la narratrice contre ses propos de table, hostiles à la campagne en cours qu'elle traite de tissu de mensonges et de propos vides. Des oreilles hostiles ne sont pas loin, comme celles des critiques littéraires : le pontifiant Piotr Klokov et l'arriviste Sergueï Dmitriévitch qui dînent à leur table. L'un comme l'autre pourrait être capable de la dénoncer comme ennemi du peuple, elle qui ose professer des louanges à la poésie de Pasternak et traiter de paroles creuses les slogans du régime déversés par la presse et la radio.
Les arrestations vont jusqu'à concerner les personnes revenues d'une précédente déportation : il en est ainsi de celles groupées à Vladimir car interdits de séjour dans la capitale, apprend-elle de l'intendante du centre. Bilibine en vient à craindre sérieusement pour lui-même. Dans l'œuvre qu'il est en train d'achever et qu'il donne à lire à Nina, il se conforme servilement aux directives nouvelles et au réalisme socialiste, quitte à travestir complètement les épisodes tirés de ses souvenirs dont il lui avait fait part quelques jours plus tôt. « Vous êtes un lâche » et « Vous êtes un menteur » lui jette-t-elle à la figure. Il n'y aura pas d'idylle entre eux.
Rédigé entre 1949 et 1957, ce bref roman n'a été publié en Russie qu'en 1988, dix ans avant la disparition de son auteure qui est surtout célèbre pour ses entretiens avec la poétesse Anna Akhmatova. L'écriture est classique et nombreuses les allusions aux poètes russes. Bien que bref, ce roman illustre avec pertinence le drame de l'intelligentsia à l'époque stalinienne.
• Lydia Tchoukovskaïa. La Plongée. Traduit du russe par André Bloch. Préface de Sylvie Benech. Le Bruit du temps, 2015, 209 pages.