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Florent-Claude Labrouste n'aime pas ses prénoms. De même, il n'aime plus Claire, ni Kate, ni Camille, ni Yuzu — oui, une japonaise au nom d'agrume ! —, ni lui-même. Il n'aime plus la vie. L'a-t-il jamais aimée ? Et d'ailleurs il ne fait pas grand chose pour. C'est évident : voilà un homme en pleine dépression. Sa confession n'est qu'une pente glissante vers la chute finale, faute d'hormone du bonheur, faute de « sérotonine ».

 

Cette fermeture du narrateur à ce qui pourrait le rendre un tant soit peu heureux est prouvée dès le début, lors d'un bref séjour sur la côte près d'Almeria : « je n'avais aucune raison d'être ici » écrit-il en attendant Yuzu, la dernière femme dont il a partagé (si l'on peut dire) l'existence. S'en suivent un retour accéléré à Paris, la séparation d'avec Yuzu (qu'il raye de sa vie), le refuge dans des logements provisoires : hôtel Mercure, locations en Normandie…

 

Comme d'habitude chez Houellebecq, les prouesses ou les déboires sexuels occupent une place importante (voire lassante) dans le roman. Cela passe ici par l'évocation des aventures successives que Labrouste avait vécues avec Claire, Kate, Camille, etc. Mais même leur souvenir ne parvient pas à lui mettre la tête hors de l'eau, à le sortir de la dépression. Un médecin lui conseille même de rencontrer des prostituées et donne leurs numéros de portable ! Il est assez curieux ce Dr Azote qui offre des clopes pendant ses consultations... L'obsession du tabac et de l'alcool éclairent assez le personnage du narrateur pour qu'on y voie une indication autobiographique.

 

Comme d'habitude chez Houellebecq, les anecdotes peuvent être assez savoureuses. Est-ce au point d'aller acheter un roman de Houellebecq comme certains achètent Le Canard Enchaîné pour les mots croisés et les contrepèteries ? Le narrateur chante les louanges de Franco — « un authentique géant du tourisme » — pour sa politique de promotion touristique (les Paradors et les grandes stations de tourisme de masse), adore les piques xénophobes — « la Hollande n'est pas un pays c'est tout au plus une entreprise » — , mais déteste la prolifération des détecteurs de fumée dans les hôtels, les textes de Bataille et de Blanchot, et considère Niort comme l' « une des villes les plus laides qu'il [lui] ait été donné de voir ».

 

Comme il se doit chez Houellebecq — et non sans malice — la description de la société actuelle dite de consommation bénéficie d'un effet de réel par la mention de marques ou d'entreprises. Florent-Claude consomme du café Malongo ; il vante la carte d'une brasserie parisienne, O'Jules ; il va déjeuner à Carteret dans tel restaurant gastronomique ; il dépeint émerveillé le vaste Centre Leclerc de Coutances, sans rapport avec l'étroitesse de la supérette proche de son hôtel Mercure. En homme de son temps, il prend un rendez-vous médical par Doctolib, stocke les photos de sa vie sur un ordinateur portable qui ne semble jamais le quitter ; il cherche sur Internet comment retrouver Claire, son ex, devenue vétérinaire à Bagnoles-de-l'Orne : l'annuaire des anciens élèves de Maisons-Alfort était maintenant en ligne. Il se tient informé de l'actualité en regardant BFM. Or celle-ci est tragique.

 

Témoin de notre monde contemporain, l'écrivain se veut le chroniqueur de ses drames. Dans ce roman, c'est la crise de l'agriculture française qui sert de décor. L'auteur se rappelle qu'il est ingénieur agronome et il fait de Florent-Claude Labrouste un collègue. Au lieu de profiter de la plage, le vacancier Labrouste finit de rédiger son rapport sur le secteur des abricots du Roussillon. Il critique l'Espagne favorable aux OGM au risque que ses « campos » deviennent un jour « une bombe génétique ». Surtout, après avoir bataillé pour la promotion des fromages normands à l'exportation, il rend visite à un exploitant agricole de la Manche qu'il n'a plus revu depuis vingt ans. Le personnage, Aymeric d'Harcourt, est une figure marquante du roman. Collectionneur d'armes et rejeton d'une lignée aristocratique de neuf siècles, il végète tristement dans l'élevage laitier bio. Son épouse, elle aussi de noble famille, l'a quitté pour un pianiste venu profiter d'un séjour champêtre. Mais la crise laitière éclate, les quotas vont disparaître, et au cours d'une spectaculaire manifestation paysanne, Labrouste est témoin de la fin tragique de son ami : pas de quoi le guérir de sa dépression, au contraire.

 

En somme ne lisez surtout pas ce livre si vous êtes déprimé(e). « Plus personne ne sera heureux en Occident, pensait-elle encore, plus jamais, nous devons aujourd'hui considérer le bonheur comme une rêverie ancienne, les conditions historiques n'en sont tout simplement plus réunies ». Rideau !

Tellement noir que ça en devient parfois étrangement jubilatoire...

 

Michel Houellebecq. Sérotonine. Flammarion, 2019, 347 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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