Avec « Où étais-tu Adam ? » Heinrich Böll évoque les derniers mois de guerre de l'armée allemande. Plutôt qu'un récit continu, les neuf chapitres du roman sont autant d'étapes vers la catastrophe finale. Le sergent Feinhals est le témoin principal de cette déroute.
• Voici quelques éléments de l'intrigue pour suivre l'essentiel du roman en compagnie du sergent Feinhals au long des neuf épisodes de son repli. Blessé il est acheminé vers un premier hôpital militaire installé dans un couvent roumain puis transféré dans un lycée agricole en Hongrie. De nombreux soldats récemment opérés sont intransportables. Or les Russes opèrent une percée puis détruisent les bâtiments en cours d'évacuation. Déjà malade des intestins le Dr Greck était en permission.
Feinhals rejoint son unité dans dans un lycée de jeunes fille où des blessés légers sont regroupés. Il rencontre Ilona Kartök une enseignante restée sur place. C'est la possible naissance d'une idylle. Ilona est juive ; elle va rejoindre ses parents le soir au ghetto. Feinhals et Ilona seront évacués vers des destinations bien différentes.
Le sergent Finck rapporte du Tokai au médecin-chef. Il meurt dans l'explosion de sa caisse de vin de Hongrie non loin de Feinhals qui s'aperçoit que c'est un voisin de Weidesheim. Le Dr Greck, malade, meurt enseveli sous un hangar touché par un autre tir d'artillerie.
Un camion vert de déménagement emporte les Juifs hongrois vers un camp de transit que dirige le SS Filskeit. Passionné de chant, il fait chanter les déportés et les meilleurs rejoignent sa chorale. Mais cette fois-ci, la blonde Ilona le bouleverse par son cantique catholique ; il l'exécute séance tenante et ordonne la liquidation des autres Juifs. Avant de mourir Ilona pense à Feinhals.
Celui-ci se retrouve dans un village de Slovaquie où un pont a été détruit. Un détachement est venu surveiller la vallée. Feinhals est logé dans une petite auberge tenue par la veuve d'un certain Wenceslas mort en Roumanie durant la guerre précédente. Il assiste à la reconstruction du pont. Bientôt il faudra faire sauter le pont car les Russes arrivent.
Habillé en civil, Feinhals est enfin rentré en Rhénanie. Les Américains interrogent les officiers allemands prisonniers. Ils n'occupent pas encore Weidesheim. Feinhals visite la famille Finck avant de rentrer chez lui. Un dernier tir d'obus détruit sa maison et il est enseveli sous les décombres devant sa porte. Une façon radicale de dire que la défaite a été totale.
• L'objectif d'Heinrich Böll n'est pas de décrire le déroulement de la guerre. En publiant ce roman en 1951, si près encore des événements, l'écrivain n'avait pas besoin de s'étendre sur les opérations militaires et le régime. Il lui suffisait de mettre en scène des éléments d'une armée se repliant devant les chars russes depuis la Roumanie et à travers la Hongrie (identifiée à la Puzsta, au tokai, et aux abricots) et qu'au dernier chapitre, en Rhénanie, les troupes américaines étaient déjà présentes au retour d'Adam Feinhals. Les ghettos et l'extermination des Juifs sont évoqués avec Ilona. Elle est abattue par un SS en plein délire, dans un camp de transit, et non dans un camp d'extermination car à cette date Auschwitz a déjà été libéré par l'armée russe.
Au contraire de romans de guerre « classiques », soucieux de montrer de vaillantes troupes au combat ou des officiers audacieux ou discutant de stratégie, Heinrich Böll n'a pas ici à souligner l’héroïsme ou la vaillance. On note l'absence de décorations ou de médailles sur la poitrine de certains soldats ou officiers. Le général qui passe en revue les troupes quand on fait la connaissance du sergent Feinhals ne porte pas de croix de fer : c'est comme le présage de l'écroulement final. Quelques pages plus loin, mais toujours dans le chapitre introductif, Feinhals, blessé, l'a croisé à l'hôpital et constaté que « sur [sa] figure on lisait que la dernière bataille était aussi perdue ».
Heinrich Böll a voulu montrer l'addition des tragédies individuelles, et les destins qui se jouent sur peu de choses. Un seul exemple : en allant au devant des Russes et brandissant le drapeau qui signale la position de l'hôpital le sergent Schneider trouve la mort en butant stupidement contre un obus non explosé. La chute de moto du capitaine Bauer est doublement grave : il n'avait pas mis son casque, il pourrait être sanctionné. Il délire en répétant toutes les cinquante secondes : « Bjeljogorsche ». Un médecin l'a chronométré... Le thème des corps souffrants est bien présent et le romancier fait mourir ses personnages les uns après les autres. La guerre provoque la folie des hommes. La destruction du pont à peine reconstruit n'est qu'une allégorie parmi d'autres de la stupidité de la guerre. Plus largement, c'est une maladie, « comme le typhus » selon les mots de Saint-Exupéry placés en exergue, en compagnie de la citation d'un autre écrivain mort en 1945, Theodor Haecker, et qui donne la clé du titre : « Où étais-tu, Adam ? — J'étais à la grande guerre ».
• Heinrich Böll. Où étais-tu, Adam ? - Traduit par André Starcky. Seuil, 1956, 190 pages.