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Esthétisant et grotesque, le style des « esperpentos » (littéralement les épouvantails) que porte Ramón del Valle-Inclán s'incarne pleinement dans ce roman paru en 1926 qui a, par ailleurs, fondé un sous-genre littéraire : celui des romans inspirés par les dictatures latino-américaines.

 

L'essentiel de l'action se passe lors de la Fête des Morts dans l'imaginaire République de Santa Fé de Terre Ferme, au bord de l'océan Pacifique. Une rébellion vient d'éclater contre le caudillo local, le clownesque Santos Banderas, hostile à la réforme agraire voulue par les Indiens et rejetée par les colons d'origine espagnole — les gachupins — et les intérêts étrangers, miniers et financiers. Dans le même temps, les exécutions capitales qu'ordonne allègrement Banderas font plisser le nez de certains diplomates, le yankee en tête. Toute la brochette diplomatique est savoureuse dans la description qu'en donne le romancier, particulièrement l'ambassadeur d'Espagne, aristocrate stylé fin de trace, entiché de son caniche autant que de son giton maquillé.

 

Le fin et cultivé Don Mariano Isabel Cristino Quaralt y Roca de Togores, baron de Benicarlès et chevalier de Ronda — ouf ! — est en effet l'exact antithèse de Banderas. Violent, inculte, grossier et provocateur, Banderas est néanmoins l'ami et défenseur de doña Lupita (alias Guadalupe) la vendeuse d'enchiladas et de chicha, mais aussi voyante et prostituée au lupanar que fréquentent les notables, les licenciados du régime. Après avoir renversé le stand tenu par la catin, le colonel Domiciano de La Gandara est poursuivi par les sbires de Banderas. Aidé par Zacarias le Balafré, il ira rejoindre les rangs des insurgés présentés dès le prologue.

 

Le roman donne une image théâtrale de la misère et de l'oppression avec la figure de l'usurier don Quintin Pereda. Tandis que Roque Cepeda, le leader de l'opposition constitutionnelle et libérale, incarcéré après un meeting, croit encore à l'union nationale pour sauver la patrie, les troupes révoltées conduites par La Gandara passent à l'attaque et encerclent la résidence de Banderas. Le tyran est prêt à éliminer sa fille pour qu'elle ne tombe pas entre les mains de la soldatesque bientôt victorieuse.

 

L'intérêt du roman est multiple. Il réside bien sûr dans son lexique précieux, sa langue maniérée, baroque et surannée, produits de l'allégeance de Ramón del Valle-Inclán à la « Génération 1898 », mais il est d'usage de souligner le rôle pionnier de ce roman dans cette littérature qui, depuis un siècle, décrit les régimes tyranniques des dictateurs latino-américains. En écrivant Tirano Banderas après des séjours au Mexique (1892 et 1922) et à Cuba, Ramón del Valle-Inclán montre une Amérique latine que l'indépendance gagnée sur l'Espagne n'a pas libérée de l'exploitation impérialiste, et dont le rêve bolivarien d'unité et de démocratie ne s'est pas réalisé, laissant place aux dictatures, comme on le verra plus tard avec Monsieur le Président de Miguel Ángel Asturias (1946), Moi, le suprême du paraguayen Augusto Roa-Bastos (1974) ou encore L'Automne du Patriarche de Gabriel Garcia Márquez (1975), etc.

 

Le contexte de l'écriture et de la publication de Tirano Banderas correspond aussi aux années où Ramón del Valle-Inclán critiquait en Espagne le pouvoir autoritaire de Primo de Rivera ; celui-ci le fit arrêter en 1929. Mort en janvier 1936, l'auteur n'aura pas assisté à l'avènement de Franco, un autre caudillo sans doute pire que son tyran imaginaire.

 

 • Ramón del Valle-Inclán. Tirano Banderas. Traduit par Claude Fell. Flammarion,1979. Réédition Points, 251 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ESPAGNOLE
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