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Cuba, le 4 septembre 2014. Bobby, un vieux camarade de lycée un peu perdu de vue vient demander à Mario Conde de retrouver une statue qu'on lui a volée, une vierge noire comme celle de Regla, le quartier du port, mais une vierge qui a une longue histoire ! Or, Conde, l'ex-flic de La Havane, héros récurrent de Leonardo Padura, s'apprête à… ou plutôt ses potes s'organisent pour lui fêter ses soixante ans. Il est depuis bien longtemps le « fiancé » de Tamara mais il n'habite pas chez elle parce qu'elle ne supporterait pas Basura II, le chien-poubelle ; il habite donc la maison de son père et de son grand-père, la maison avec terrasse qu'il partage avec le chien affamé. À partir de là, Leonardo Padura nous a concocté un gros roman à trois facettes. Il tient de l'étude psychologique, de l'essai sociologique, et bien sûr du polar.

 

D'abord Mario Conde se sent déjà vieux en abordant la soixantaine ! À preuve, la « beauté cataclysmique » de la galeriste sexy qui réveille son désir mais pas au point de chercher à coucher avec elle. C'est aussi qu'il est resté (ou devenu — je ne connais pas tous les polars de Padura) fidèle à Tamara dont il apprécie fort à la fois la maison, la cuisine et le lit. Et puis, plein de désillusions, Mario Conde a le sentiment d'appartenir à un vieux monde quand il voit les plus jeunes manier avec dextérité leur téléphone mobile ou leur ordinateur portable. Aussi tend-il à se replier sur sa bande de copains, n'ont-ils pas vieilli ensemble ? Et vidé ensemble tant de bouteilles de rhum !

 

Mais c'est aussi que Cuba change, pour le meilleur, et pour le pire. La dégradation de La Havane et la misère de beaucoup de Cubains forment un thème lancinant, récurrent. Les migrants venus de l'autre bout de l'île, qualifiés d'Orientaux ou de Palestiniens, s'entassent dans de sordides bidonvilles en périphérie de la capitale. Les bâtisses, mal entretenues, menacent ruine. Les grosses averses tropicales transforment les rues en canaux car les égouts sont depuis longtemps bouchés par les immondices. Même la surveillance policière de la population se dégrade : autrefois on coupait l'eau et l'électricité à ceux qui ne dénonçaient pas les préparatifs des émigrants clandestins. Maintenant on fête joyeusement les départs pour Miami. Or, justement, voici qu'un des potes, à son tour, a décidé de choisir la Floride si bien que Mario Conde, attaché à son île, aurait tendance à lui reprocher sa désertion. Et puis on commence à voir se multiplier le secteur privé avec les restaurants de luxe, les boutiques où l'on paie en devises des produits importés, alcools, chaussures ou fringues de marque. Mais les ressources de Mario sont minces.

 

Et donc quand Bobby vient solliciter les services de l'ex-flic au nom de leur ancienne amitié, avec une solide indemnité en devises à la clé, Mario ne tarde pas à se laisser convaincre. Pourtant, c'est essentiellement cette histoire de statue volée qui l'entraîne dans cette nouvelle aventure où il sera question de petits voyous et de meurtres à cause de cette relique convoitée par un collectionneur venu spécialement de Catalogne. Le lecteur pourra sans doute trouver que le roman se traîne durant les cent premières pages (c'est un point faible qui a déjà été relevé). Il faut laisser à Padura le temps de présenter les acteurs cubains du marché de l'art (Bobby lui-même, René Aguila, Elizardo Soler et Karla Choy) et du trafic de faux tableaux. Il faut lui laisser le temps de donner une dimension historique à cette statue de vierge noire. D'où la présence de plusieurs chapitres qui remontent jusqu'en 1291 pour découvrir des moments de son passé médiéval et contemporain à travers la vie de personnages successifs qui s'appellent tous Antoni Barral et qui ont protégé la vierge noire qui fait des miracles : cette odyssée mène de Saint-Jean d'Acre à Marseille au temps des Templiers, et des Pyrénées à Cuba pour fuir la guerre civile.

 

Bobby récupèrera-t-il sa statue fétiche ? Et Mario Conde aura-t-il enfin le loisir de se livrer à son envie secrète : l'écriture ?

 

Leonardo Padura. La transparence du temps. Traduit par Elena Zayas. Métailié, 2019, 429 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ESPAGNOLE, #AMERIQUE LATINE, #CUBA
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