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Initialement traduit par Maurice-Edgar Coindreau sous le titre « Inventions et pérégrinations d'Alfanhuí » (Gallimard, 1957), voici le fameux premier livre de Rafael Sánchez Ferlosio repris par l'éditeur Verdier de Lagrasse. Il est au cœur du réalisme magique et en même temps héritier du picaro, mais sans les vulgarités propres à ce genre.

 

Même dans le merveilleux monde des contes auquel s'apparente cette histoire rafraîchissante et triste à la fois, il est rare qu'un jeune garçon parti de chez lui pour découvrir le monde porte le nom d'Alfanhuí. C'est en effet un surnom, dérivé du cri des butors, donné par le taxidermiste qui l'a pris en stage et chez qui murissent d'étranges inventions. Avant même de devenir Alfanhuí, le jeune garçon, accompagné du coq descendu de la girouette et dont il s'est fait le complice, avait déjà inventé comment fabriquer de l'encre et des couleurs à partir de lézards qui y laissèrent leur courte existence.

 

À la mort de son maître taxidermiste dont la maison venait de brûler, Alfanhuí quitte Guadalajara avec l'espoir de mener joyeuse vie dans la grande ville : là il rencontre le pantin don Zana, qui a pris pension chez doña Tere. Le séjour à Madrid est un échec, Alfanhuí détruit le pantin.

La suite de ses pérégrinations l'amène dans un bourg d'une province éloignée où vit sa grand-mère, celle qui couve les œufs pour la grande joie des gamins, garçons et filles. Là, les douze bœufs retraités des villageois ont justement besoin d'un bouvier — même inexpérimenté ! Un an plus tard on retrouve Alfanhuí devenu adulte, sur le chemin du retour vers la maison de sa mère.

 

La couverture illustre l'incipit

Les couleurs tiennent une place majeure dans ces aventures et un arc-en-ciel en dessine la dernière page. Avant cela, sur un mur de la ville, « la dame peinte, mauve et rose, avec son châle tricoté de laine bleue » c'est Mlle Flora, mais la pluie a fait dégouliner le trompe-l'œil représentant la femme au balcon. Dans le jardin du taxidermiste, Alfanhuí invente la coloration du feuillage d'un châtaignier en bleu en orange en rouge en jaune, en noir même, le tout donnant « un merveilleux arlequin végétal ». Comme les couleurs, les éléments — je veux dire la terre, l'air, le feu, l'eau — s'affirment dans ce roman de formation, au sens moral plus qu'au sens professionnel. Le feu est particulièrement présent au quotidien pour nourrir les personnages. Il fait également partie du jeu : « Il y avait à ce moment là, à Madrid, beaucoup d'enfants qui voulaient être pompiers » et jouer à sauver les jeunes filles. Il est aussi destructeur : la maison du taxidermiste est détruite par les hommes mécontents d'une autre de leurs inventions. Avant de quitter la ville, Alfanhuí découvre une maison abandonnée où jouait une petite fille qui a jeté à terre un livre de contes et qui lui demande : « C'est toi le chevalier Zarambel ? ».

 

Violence des hommes, destruction, ruine : peut-être faut-il y voir un écho de la guerre destructrice dont sortait l'Espagne. Alors le parcours d'Alfanhuí ne serait pas seulement la sortie de l'enfance et d'un éternel univers rural à la manière des contes, avec moisson, chasseurs, butors chanteurs et bœufs aimables. Par la suite, Ferlosio deviendra le maître du réalisme espagnol avec El Jarama (Les eaux du Jarama en français).

 

Rafael Sánchez Ferlosio. Ruses et aventures d'Alfanhuí. Traduit par Claudette Dérozier. Verdier, 1988, 166 pages.

 

=> Ici, un blog en espagnol qui en parle très bien.

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ESPAGNOLE
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