Dans ce troisième volet de son « Encyclopédie du monde », Michel Onfray propose « aux lecteurs inconnus » et comme lui athées de renouer avec l’esprit de la philosophie romaine, seul remède à notre Occident nihiliste, pour parvenir à bien vivre, « ici et maintenant, droit et debout » ! Certes « nous sommes sur un volcan », notre civilisation menace explosion, toutefois cessons d’écouter les sirènes de fin du monde...
C’est en lui faisant découvrir Lucrèce que son « vieux maître » Jerphagnon a converti Michel Onfray à l’épicurisme et a donné un sens à sa vie. Pline l’Ancien, Épictète, Sénèque entre autres éclairent sa réflexion. La philosophie de la Rome républicaine, non celle de la Rome impériale, voilà la source vive où se plonger ! À l’inverse de la philosophie grecque idéaliste et abstraite, qui se réfugie dans les Idées platoniciennes et les discours rhétoriques, la philosophie romaine se veut pragmatique, existentielle. On y retrouve des valeurs viriles perdues aujourd’hui telles la confiance, la fidélité à la parole donnée, l’obéissance aux lois ou la congruence, alors que notre époque nihiliste et individualiste n’offre plus aucun repère stable ni positif, « lave les dettes d’honneur avec des versements de dommages et intérêts... ignore le courage psychique et se réfugie dans la pharmacie anxiolytique... met au pouvoir des gens dont le mensonge et le parjure sont le métier ». Onfray soutient une fois encore que c’est le Christianisme qui a entraîné ce basculement : contradictoire dans ses textes « truffés de petits mensonges » cette religion entretient « le désir de la mort », la fuite hors de cette « vallée de larmes » qu’est l’existence. M. Onfray nous offre la perspective inverse afin de bien vivre notre vie : sa démarche est tragique, lucide, mais non pessimiste ! Nous sommes voués à la mort : suite naturelle de la vie, elle ne saurait nous empêcher de la vivre au mieux car nous n’avons qu’elle, rappelle M. Onfray !, pas de post-mortem, aucune métaphysique. À l ‘inverse de la conception platonicienne de l’âme immortelle, l’épicurienne n’est qu’un agrégat d’atomes matériel et périssable. En fait c’est la crainte de la mort qui a créé les dieux et les religions. La seule « religion » selon Lucrèce, c’est celle qui relie — religare — l’homme au cosmos dont il n’est qu’une particule dans le grand élan vital : c’est la « spiritualité matérialiste » qui éclaire le chemin de l’auteur.
Et de nous proposer quelques méditations pour rester maîtres de la part de notre vie qui dépend de nous :
Se savoir peu de chose, fragment du Grand Tout soumis à la mort ;
Pratiquer l ‘ancien « examen de conscience » pour se connaître et s’améliorer ;
Posséder sans être possédé, limiter les attachements car nous ne sommes que de passage ;
Aimer, renoncer à sa tranquillité par choix volontaire et non selon une pulsion instinctuelle : car l’amour c’est « la volonté de deux sujets qui lient leur vie jusqu’à la mort » ;
Avoir des enfants, c’est n’avoir pas réfléchi que donner la vie c’est donner la mort. Par conformisme ou par « incomplétude psychique » c’est aliéner sa propre liberté car quand enfant il y a, les géniteurs ont le devoir de l’aider à se construire.
Stoïciens et épicuriens demeurent les maîtres à penser de M. Onfray et cet essai nous engage à les découvrir ou à les relire ! Certes, comme dans ses précédents ouvrages, le philosophe a tendance à préférer les assertions aux démonstrations et son rejet du Christianisme l'amène à prendre des positions contestables pour certains. Reste que ses conseils de « bonne vie » donnent à méditer : « philosopher c’est apprendre à mourir » et tous nous devons nous y préparer !!!
• Michel Onfray. Sagesse. Savoir vivre au pied d'un volcan. Albin Michel/Flammarion, 2019, 517 pages.
Pour l'essai précédent de M. Onfray, Décadence, cliquer ici.
Chroniqué par Kate