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S'il est un mérite qu'on doive reconnaître à ce roman, c'est bien de nous surprendre en empilant invraisemblance sur invraisemblance. Imaginez un peu l'affaire : Julie, riche héritière d'une famille sud-africaine tombe amoureuse d'un petit garagiste immigré clandestin, le présente à ses amis snobs, et quand l'amant auréolé de cambouis est sur le point d'être expulsé d'Afrique du Sud, elle achète deux billets d'avion, l'épouse vite fait au consulat et l'accompagne pour revoir son village à l'orée du désert dans un fichu coin perdu d'un misérable pays arabe ! Et ce n'est pas fini — étonnez-moi ! demandait Cocteau — et c'est bien ce qui arrive quand Abdou/Ibrahim décroche enfin un visa pour aller travailler aux Etats-Unis, notre Julie pourrait décider de rester avec ses belles-soeurs...

 

On ne sait pas si leur histoire d'amour finira bien ou mal mais peut-être que le plus important est ailleurs. Qu'est-ce qui fait qu'on se sent bien ou qu'on se sent mal dans un milieu (social, familial) donné ? Nadine Gordimer dépeint deux sociétés bien différentes. Dans sa métropole sud-africaine post-apartheid, Julie critique la vie des membres de la classe dirigeante, qu'ils soient blancs ou noirs — à l'exception de l'oncle Archie. Elle s'entend particulièrement mal avec son père, riche homme d'affaires, divorcé et remarié. Elle déteste les réunions mondaines où ces gens se retrouvent pour parler affaires et de placements. Rompant avec son milieu friqué, elle fréquente la société d'un bar branché où l'on aime une touche de provocation et de non-conformisme.

 

D'un autre côté quand Julie se retrouve plongée dans le village arabe, on sait bien, son mari sait bien, qu'elle n'a rien à y faire. Elle tombe de la planète Mars. Elle, la fille indépendante et délurée, serait-elle vraiment disposée à vivre à peu près recluse, à porter la foulard, à croupir dans une baraque sans salle de bain, et à rompre avec les plaisirs et la culture de la ville. Mais il se produit chez elle la découverte fascinante du désert qui commence au bout de la rue où habite sa belle-famille, en même temps que la découverte d'une famille unie et chaleureuse avec, entre autres, deux belles-sœurs qui vont la comprendre, la jeune Maryam qui l'a convaincue de se rendre utile en enseignant l'anglais, et Khadija dont l'époux travaille à l'étranger sur un gisement de pétrole et ne semble pas vouloir revenir au bled.

 

Le roman est donc intéressant mais le hic c'est l'écriture qui régulièrement s'emballe sans me convenir et devient hachée pour faire moderne. Je cite la fin de l'incipit : « Voilà : vous avez vu. J'ai vu. Le geste. Une femme dans un embouteillage comme tant d'autres dans la ville, n'importe quelle ville. Vous ne vous en souviendrez pas, vous ne saurez pas qui elle est. Mais moi je sais, à partir de cette image je vais trouver l'histoire de ce banal embarras de rue, jusqu'où il l'entraînera. Ses mains en l'air. Ouvertes. »

 

Nadine Gordimer. Un amant de fortune. Traduit par Georges Lory. Grasset, 2002, 342 pages. Titre original : The Pickup.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE, #AFRIQUE DU SUD
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