Il n'y a pas assez de littérature d'Afrique du Sud sur ce blog... Alors voici un roman de Nadine Gordimer (1923-2014). Le roman décrit une famille de Sud-africains blancs assez privilégiés mais “politiquement corrects”. Adrian Bannerman gère une société de matériel agricole, son épouse Lindsay est avocate, leur fils Paul est écologiste dans une Agence environnementale et leur belle-fille Berenice cadre dans la publicité.
Paru en anglais en 2005, sous le titre Get a Life, le roman de la prix Nobel sud-africaine commence par une situation paradoxale d'assez mauvais goût. Paul, qui combat un projet de nouveau réacteur à la centrale nucléaire de Koeberg, est soigné à l'iode radioactif après une thyroïdectomie, ce qui le rend lui-même temporairement radioactif... Raison pour laquelle il est placé en quarantaine, non pas dans un établissement hospitalier mais chez ses parents, loin de sa femme et de leur fils.
Alors Paul l'écolo radioactif réfléchit :
« Comment a-t-il pu, lui dont le travail, la raison d'être consiste à préserver la vie, vivre si longtemps et si étroitement avec elle, complice efficace de sa destruction ? » En effet, l'agence de publicité de Berenice est financée par le secteur touristique, notamment les réserves animalières qui montrent les “Big Five” aux amateurs fortunés d'Afrique sauvage, le contraire, selon lui, de la vraie protection de la nature, sans compter la brutale exploitation du littoral. Au tiers du roman, on s'attend donc à ce que Paul « bouge » et même rompe avec sa femme...
Au lieu de cela, place aux aventures des parents, plutôt convenues sinon peu crédibles. Lindsay avait avoué à son mari que jadis elle l'avait trompé pendant des années pour retrouver un beau juriste à l'étranger mais que c'était bel et bien fini tout ça. La retraite venue, Adrian déserte lors d'un voyage au Mexique pour suivre une jolie guide et conférencière norvégienne qui a la moitié de son âge. Que voulez-vous, il aimait l'archéologie et les temples aztèques !
Avec le style heurté, dur, sec et un peu cassé de la romancière, — du moins dans cet ouvrage — on a du mal à éprouver beaucoup de sympathie pour les personnages. Dans cette société post-apartheid, Nadine Gordimer a judicieusement placé quelques Noirs : comme Primrose la bonne au service des parents Bannerman qui paient l'école de son fils pour se donner bonne conscience, et Thepolo, collègue de Paul dans son travail d'évaluation des risques que les projets de développement infligeront à la nature.
Faute de profondeur psychologique suffisante donnée aux personnages, on a comme l'impression de lire une BD sans images ou encore un projet de roman à thèse laissé inachevé. Mais à la fin ça se termine bien : Paul rentre chez lui, fait un enfant à Berenice, et sa mère désormais veuve adopte une petite fille noire séropositive. Sans oublier que le gouvernement renonce au nouveau réacteur, [puis en 2018 à toute énergie nucléaire faute de financement]. Ainsi le charbon reste-t-il l'énergie dominante avec 67 % du bilan énergétique tandis que l'électricité est d'origine thermique, tirée du charbon à 90 % (selon l'article Energie en Afrique du Sud de Wikipedia). Mais ce n'était apparemment pas cette dépendance au carbone qui faisait bouger Nadine Gordimer et ça ne l'empêchait pas de se présenter comme écologiste.
Maintenant que vous en savez assez sur ce roman qui se veut “bien-pensant” : lisez autre chose.
• Nadine Gordimer. Bouge-toi ! Traduit par G. et M. Lory. Grasset, 2007, 277 pages.