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      Prix Goncourt 2018

     Déjà dans son premier roman, « Aux animaux la guerre », N. Mathieu montrait son intérêt pour les problèmes sociaux contemporains. Dans celui-ci il élargit ses investigations à la région d’Heillange, proche du Luxembourg, entre 1992 et 1998. C’est une enquête sociologique et un bon documentaire. C’est aussi un roman de l’amour impossible entre Anthony et Stéphanie. En adoptant le langage des adolescents l’auteur donne au récit son parfum d’authenticité. Tout se joue pendant l’été, quand l’ennui, le manque d’argent, la chaleur rendent plus palpable encore le mal être général. Le projet était ambitieux et souvent « qui trop embrasse mal étreint ». Nicolas Mathieu réussit à « donner la gerbe » au lecteur : dans ce marécage de sexes, de drogue, d’alcool et d’embrouilles parfois émerge un îlot, comme un extrait de cours d’économie, des généralités sociologiques : on reprend souffle avant de replonger dans le glauque quotidien de ces « vies minuscules ». L’intention était louable : attirer l’attention sur cette région désindustrialisée, sur le déterminisme social, sur cette « effroyable douceur d’appartenir ». Car rares sont ceux qui échappent à cette terre natale où l’amour n’est pas joie, ni la sexualité plaisir. La plupart de « leurs enfants après eux » suivront les mêmes chemins.

     Dans la torpeur de Juillet les adolescents traînent en ville leur vague à l’âme, ce « malaise flou » que N. Mathieu rend perceptible à travers le personnage d’Anthony « nul au bahut, l’envie de rien, infoutu de se sortir une meuf ». Le shit, la beuh ou la coke font passer le temps, tout comme les virées à « reluquer le corps des filles « au bord du lac, les soirées d’ivresse, voire les vols. Jeunes et adultes éprouvent le même sentiment de frustration, d’humiliation, générateur de rage et de violence. Tous les couples « ne cèdent pas à ces modes si répandues du divorce » ; certains mènent « une existence moyenne d’opiniâtreté et d’humbles sacrifices » que leurs enfantes refusent. Tous rêvent de s’enfuir. Mais seules deux filles accèdent à  des études supérieures, ayant vécu dans des familles solides et informées des divers parcours scolaires.  Dans la plupart des foyers « les mecs étaient partis par le fond, les fils aussi avaient mal tourné ; seules les femmes avaient tenu, endurantes et malmenées ».

    N.Mathieu replace ces parcours chaotiques dans leur dimension socioéconomique, donnant ainsi de la profondeur au récit. Mais ces considérations semblent souvent plaquées sur la narration romanesque. Ainsi évoque-t-il la fermeture des hauts fourneaux d’Heillange et ses conséquences dramatiques sur l’évolution du travail « On mourait maintenant à feu doux, d’humiliation, de servitudes minuscules... l’heure était désormais à l’intérimaire, à l’isolat ». Le désœuvrement de ces jeunes peu scolarisés les entraîne dans l’économie souterraine de la drogue et l’argent qu’elle génère « muait les voleurs en actionnaires, les trafiquants en conformistes, les proxénètes en marchands ». Là comme ailleurs en France, l’orientation scolaire renforce les inégalités sociales, et « le mérite ne s’oppos[e] finalement pas aux lois de la naissance et du sang ». Heillange a aussi accueilli de nombreux immigrés : « trois millions à peu près » et vu croître le chômage ; « ces feignants d’importation étaient la cause première des maux contemporains ». Toutes les tensions de la société française se concentrent dans cette vallée où la majorité des habitants soupire comme le père d’Anthony ; « on s’aimait, on crevait aussi, on était maître de rien, pas plus de ses élans que de sa fin ».

     En suivant des adolescents, N.Mathieu donne bien à comprendre les drames de cette région en reconversion. Toutefois, la construction romanesque reste souvent maladroite ; plus concis, son propos aurait gagné en pugnacité. Comme son précédent roman, « leurs enfants après eux » se prêterait aisément à une adaptation cinématographique.

 

     • Nicolas Mathieu. Leurs enfants après eux. Actes Sud, 2018, 425 pages.

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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