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Après Le Prince noir, Le Message à la planète, et les Demi-Justes, on commence à comprendre le “cocktail” d'Iris Murdoch. Choisir un bon nombre de personnages, des amis, des parents, toutes personnes d'âge, de caractère et d'occupation bien contrastés. Ajouter des histoires d'amour les unes réussies, ou rêvées et d'autres contrariées. Réunir le tout à Londres par exemple. Bien brasser dans diverses réceptions mondaines. Laisser agir cinq cents pages...

 

Dans ce roman de 1971, cela suffit à produire des catastrophes rien que durant l'espace d'un été. Gracie Tisbourne et Ludwig Leferrier n'avaient effectivement rien pour former un couple. La demoiselle futile, mais fille d'un haut-fonctionnaire, rêvait de bagues de diamants et de jolies robes tandis que le jeune historien débarqué d'Amérique vivait dans la culture antique qu'elle ignorait. « Il était impossible de lui expliquer ce qu'étaient les Assyriens et elle ne désirait pas vraiment le savoir ». Un poste à Oxford lui semblait le paradis. Ils s'aventurèrent imprudemment dans un projet de mariage pour la fin du mois d'août. Le jeune homme était par ailleurs réclamé par l'armée américaine et le Vietnam. Bien évidemment, tout ne pouvait se concilier...

 

Le roman de Murdoch déborde de personnages et de récits secondaires, et sans dévoiler la fin, on peut dire que l'essentiel de l'histoire s'articule autour de deux frères, Matthew l'aîné et Austin le cadet, apparentés à la famille Tisbourne. Matthew revient du Japon ; on sait qu'il a été diplomate, qu'il a gagné une fortune à Hong Kong, qu'il rapporte une collection de porcelaines chinoises et qu'il est célibataire. S'il rentre à Londres, ce serait dans le but de se réconcilier avec son frérot l'incroyable Austin, « l'homme à catastrophes » ; séducteur mais aussi gaffeur, menteur, alcoolique, lâche, instable, colérique, violent et j'en passe, et de surcroit le voici chômeur. Le premier mariage d'Austin s'est mal terminé, avec Betsy accidentellement noyée dans un canal. Charlotte juge l'affaire louche, depuis qu'elle a trouvé chez Austin des photos et une lettre qui semblent prouver que la jeune femme savait nager, et suggérer une liaison avec Matthew. La seconde femme d'Austin, la fragile et jolie Dorina vient de quitter la domicile conjugal pour se réfugier chez sa demi-sœur Mavis. Celle-ci, comme d'ailleurs Charlotte la tante de Gracie, espérait épouser Matthew quand il jugerait bon de revenir à Londres. Maintenant qu'il y réside, provisoirement hébergé dans la Villa dont Gracie vient d'hériter, les événements vont s'enchaîner. Mais conduisant en état d'ivresse la voiture de Matthew, Austin écrase une petite-fille, envoie à l'hôpital son père dans le coma, et casse quelques porcelaines précieuses chez son frère.

 

Les abondantes analyses psychologiques voisinent avec une avalanche de rebondissements. Quand Dorina fait un premier pas pour se réconcilier avec son mari, elle le retrouve — manque de chance — dans les bras de sa logeuse... C'est qu'il y a du vaudeville dans cette comédie sociale et familiale (qui pour plusieurs personnages n'est qu'une tragédie). Les portes claquent, on commande un taxi, on l'annule, on se téléphone, on s'écrit beaucoup (aujourd'hui Iris Murdoch nous aurait sûrement inondés de textos). Mavis recueille Dorina et quand celle-ci fugue pour la seconde fois c'est le mari qui se retrouve chez elle. Mavis n'ose le virer parce que c'est de Matthew qu'elle attend une solution, mais le temps passe. Se peut-il que Matthew puisse se détacher de sa dulcinée à cause des problèmes de Ludwig Lefferier ? « Austin était tout simplement demeuré trop longtemps avec Mavis et l'avait contaminée ». Oui, Austin est certainement toxique comme on dit aujourd'hui.

 

« Tout cela avait été, comme tant d'autres choses dans cette histoire, le fait du hasard. Mais c'était trop beau pour n'avoir pas été aussi le fruit de l'instinct. » Le hasard est en effet si fortement sollicité par la romancière que cela donne à ce livre aux ambitions réalistes une invraisemblance à peu près permanente. C'est là son charme.

 

• Iris Murdoch. Un homme à catastrophes. Traduit par Yvonne Davey. Gallimard, 1974, 464 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE
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