
Dans le bureau du juge d'instruction, Martial Kermeur raconte sa vie. Divorcé, licencié, roulé dans la farine. Sa femme l'a quitté. Son fils est en prison. Sa substantielle prime de licenciement a été engloutie par un promoteur véreux. Il ne pourra pas acheter le Merry Fischer de ses rêves pour aller relever ses casiers à homards dans la baie de Brest.
Il raconte tout au juge. Comment dans une fête foraine, il a failli se tuer avec la grande roue, métaphore du destin. Comment il a oublié de valider le billet gagnant du loto. Comment il s'est saoulé avec le maire Le Goff quand celui-ci est venu confesser l'arnaque dont il a été aussi victime. Le juge est d'une patience qui surprend ; peut-être même finit-il par sympathiser avec ce Martial qu'il devrait inculper au plus vite pour meurtre.
Car il y a eu meurtre et non pas accident de pêche. Kermeur a balancé dans la flotte le promoteur escroc, ce Lazenec qui pouvait être si charmant quand il invitait le fils Kermeur à venir assister au match de football depuis la tribune officielle. Comme le maire, Kermeur a été dupé par la cordialité de l'homme d'affaires qui se proposait de construire des appartements de standing à la place du vieux château dont la municipalité a décidé de se débarrasser pour se donner un air plus moderne, et relancer le tourisme.
Plutôt que d'un appartement avec vue sur mer dans un complexe immobilier jamais construit, c'est un Merry Fischer que Kermeur voulait acquérir avec sa prime de licenciement. En lui offrant un verre sur le port, Lazenec l'a entraîné à faire le contraire de son intention. Le beau parleur n'a pas escroqué que Kermeur. Mais lui seul a réagi, et personne d'autre dans la commune puisque le maire s'est suicidé. Alors Kermeur s'est fait le vengeur de la communauté. Et il faudrait que tout retombe sur lui alors qu'il a été le plus courageux de tous ?
Ce petit bijou littéraire se lit avec gourmandise. L'auteur de L'absolue perfection du crime et de La disparition de Jim Sullivan a choisi ici encore une écriture très efficace. Le quasi-monologue de Kermeur — le juge intervient si peu…— est plein de fougue et de ressentiment. On ne peut qu'éprouver de l'empathie pour cet homme déçu. On en omettrait presque que c'est sa seule naïveté qui l'a grugé et non le promoteur qui ne l'a forcé à rien. Ah, j'allais oublier, ne cherchez pas à découvrir le contenu de l'article 353 avant la fin du livre !
• Tanguy Viel. Article 353 du Code pénal. Editions de Minuit, 2017, 173 pages.