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C'est une narration autobiographique écrite en boucle. L'histoire commence quand Bradley Pearson, 58 ans, reçoit l'appel téléphonique de son ami l'écrivain à succès Arnold Baffin : il lui demande de venir d'urgence parce qu'il vient de brutaliser son épouse Rachel et craint de l'avoir tuée. L'histoire s'approchera de la fin quand, à son tour, Rachel appellera l'ami du couple parce qu'elle redoutera d'avoir tué son mari à la suite d'une dispute dont la cause n'est pas celle qui fera accourir Bradley.

 

C'est un narrateur dont le projet d'écriture est constamment empêché par les appels téléphoniques et les visites des différents personnages : Rachel et Arnold Baffin, Julian leur fille d'à peine vingt ans, Christian l'ex-épouse de Bradley, depuis peu veuve, riche et de retour à Londres, Priscilla la sœur de Bradley, qui vient de quitter le domicile conjugal à Bristol, l'esprit passablement dérangé, et enfin Francis Marloe, psychologue, homosexuel et toujours fauché — trois caractéristiques qui importent à tour de rôle.

 

C'est un roman sur l'écriture. Pearson, le narrateur, a déjà publié deux ou trois livres mais il est en panne d'inspiration alors que Baffin, son ami et cadet de dix ans, a accumulé une jolie pile de succès d'édition que Bradley est loin d'avoir lus en entier. Animé sans doute par la jalousie envers un collègue célèbre, Pearson a rédigé une critique très négative du dernier livre d'Arnold. Par ailleurs, Julian est hantée par la figure d'Hamlet, qu'elle étudie et qu'elle interprète, et pour séduire Bradley elle s'habille en Prince noir ; cet épisode justifie le titre du récit.

 

C'est donc un roman sur l'amour, ainsi que le souligne le sous-titre de l'autobiographie. Si les couples échouent et se défont — Christian a divorcé, Priscilla quitté Roger et Rachel tuera son mari — Bradley expose avec complaisance son penchant pour Rachel puis son attirance pour la jeune Julian à qui il offre des bottes rouges avant d'en tomber littéralement amoureux. La villa de bord de mer louée par Bradley pour s'y livrer à l'écriture, Patara, devient un bref instant le nid d'amour de Bradley et de Julian, une liaison qui provoque le courroux d'Arnold. La jeune ingénue pleine d'idées romantiques tranche avec la figure triste de Priscilla dont la présence insupporte Bradley.

 

Les personnages d'Iris Murdoch ne produisent pas beaucoup d'attachement ou de compassion de la part du lecteur, certains sont clairement irritants voire antipathiques, Bradley en tête. Il est à la recherche de l'inspiration perdue, de l'amour qu'il ne connaît plus depuis des années, ainsi que d'une nouvelle vigueur sexuelle, symboliquement figurée par la Post Office Tower que l'on vient d'achever à Londres en 1965. Mais Bradley se conduit d'une manière souvent inconséquente et énervée, celle d'un mufle ou d'un goujat qui envoie promener ses visiteurs, y compris son ex-épouse et surtout sa sœur à l'équilibre mental incertain. L'autobiographie de Bradley est sans doute déformée par sa rédaction et sa mise en forme quand Bradley se retrouve en prison — mais les personnages qui la jugent et s'expriment en postface n'ajoutent que l’égoïsme de leurs points de vue.

 

Il faut aussi savoir que la composition du livre repose sur l'alternance de longues séquences de dialogues reconstruits par Bradley en écrivant sa biographie et de lourds moments de réflexion du même Bradley qui nous rappellent qu'Iris Murdoch enseigna la philosophie. Dans tous les cas cela exige la persévérance du lecteur vu l'extrême minutie de l'analyse de la romancière et — pense-t-on parfois — une excessive longueur due aux ressassements de Bradley.

 

• Iris Murdoch. Le Prince noir. Traduit par Yvonne Davet. Gallimard, Du Monde entier, 1976, et L'Imaginaire, 2004, 526 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE
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