
In Koli Jean Bofane joue à merveille de l’humour pour mettre à distance une sale histoire de meurtre et de corruption, pimentant même de quelque magie l’enquête après l’assassinat d’Ichrak, la Belle de Casa. Bofane tisse ainsi une véritable toile d’ araignée qui révèle la ville, sombre tissu de misère, de sexe et d’argent, émaillé de toute la générosité des plus pauvres. Escrocs, proxénètes, voyous en tout genre, les hommes dans ce roman n’ont pas la part belle !! À l’inverse deux jeunes femmes séduisent par leur beauté mais savent garder leur dignité et leur liberté. Émotions, pulsions, coups de folie submergent tout un chacun ! c’est à cause de Chergui, le vent du désert, véritable personnage dans ce roman ! L’auteur le marque au coin du réalisme historique — du Congo sous Mobutu à l’Amérique de Trump —, autant que géographique — la toponymie très précise de Casablanca — et météorologique, titrant chaque chapitre d’une expression climatique !
Dans la valse des personnages, voici Ichrak, « sculpturale idole » qui allumait les désirs masculins sans jamais se prostituer. Son drame intime c’était ce père inconnu dont le manque n’était compensé qu’en écoutant sur son MP3 la lecture du roman de Kaoutar Harchi, « À l’origine notre père obscur ». On a retrouvé son corps, carotide tranchée, au bas d’un escalier. Voici son ami, Sese Seko Shimanga, le narrateur, congolais clandestin échoué par hasard au Maroc : une des figures de la corruption et de la concupiscence masculines. « Cyber séducteur » il soutirait de l’argent aux femmes européennes grâce à des exhibitions virtuelles. Voici Nordine Guerrouj, tenancier de bar et proxénète, ou Mekloufi, ancien trafiquant de haschich, ou Mokhtar Daoudi, le louche commissaire ...
Casablanca devient une mégapole gangrenée par la corruption immobilière : voici Alfasser le promoteur saoudien qui, pour exproprier les migrants Africains, combine avec Farida Azzouz, riche propriétaire et superbe « femelle Alpha » !!
Le tout par 45°, provoquant des montées d’énergie extrême au coeur même de Chergui qui « mettaient à rude épreuve les émotions et les neurones ». Ainsi en va-t-il de « la fragilité humaine lorsqu’un souffle onirique concourt à l’exacerbation des sentiments».
Au fil de ce roman tourbillonnant où l’on se perd autant dans les ruelles de la médina que dans les imbroglios d’affaires fumeuses, Casablanca se dévoile, impertinente et libre, et avec quelle tchatche !!
• In Koli Jean BOFANE. La Belle de Casa. Actes Sud, 2018, 203 pages.
Chroniqué par Kate