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Il n’existe aucune bonne méthode d’éducation ! C’est ce que prétend A. Gopnik, psychologue universitaire de Berkeley, spécialiste des nouvelles sciences du développement de l’enfant. Elle illustre sa thèse grâce à ses propres expérimentations sur de jeunes enfants autant qu’en retraçant l’évolution des humains que nous sommes devenus depuis les chasseurs-cueilleurs ou en nous comparant aux animaux. S’y joint le témoignage autobiographique de cette grand-mère très attachée à ses deux petits enfants. Bref, ce propos foisonnant n’échappe pas  au bavardage ni à la répétition ; néanmoins A. Gopnik rappelle quelques justes vérités.

 

Elle fustige les manuels pratiques d’éducation — de parenting — selon lesquels être parent serait un métier qui s’apprend. Grave erreur : les  « bons » parents sont ceux qui offrent à leur enfant les meilleures conditions possibles pour qu’il puisse suivre ses propres choix, même s’ils les jugent désastreux. C’est nuire à l’avenir d’un petit que de se fixer pour lui un projet, un objectif, parfois dès la maternelle !! Car son monde ne sera pas le nôtre, ni nos valeurs les siennes. Mais ses capacités d’adaptabilité demeurent son atout majeur : aux parents à contribuer à leur développement. La métaphore de l’auteur est éclairante : les parents ne doivent pas se croire des menuisiers fabriquant un meuble remarquable, leur enfant, mais  des jardiniers anglais qui donnent à leur jeune pousse le bon terreau pour se développer à son rythme : amour et protection. Car le but « n’est pas de façonner la destinée de ceux que l’on aime, mais de les aider à trouver celle qui leur est propre ».

Les livres de parenting poussent les parents à faire de leur enfant un adulte accompli selon nos critères obsessionnels de réussite scolaire. On formate l’esprit de l’enfant ; de plus ces méthodes génèrent souvent anxiété, culpabilité et frustration chez les parents : « le parenting  a créé une vie bien trop remplie par les journées d’école, les activités extrascolaires et les devoirs ». On éduque selon nos idéaux d’aujourd’hui ce qui risque d’entraver l’adaptation de l’enfant à la société future, alors même que l’on constate déjà de plus en plus de variabilité et de changements. C’est, répétons-le, l’adaptabilité de l’enfant que les parents doivent developper. Assoiffé de comprendre le monde, le jeune cerveau, ouvert à l’exploration et à l’innovation, semble désordonné ; certes, cependant si « nous ne pouvons pas forcer les enfants à apprendre, nous pouvons les laisser apprendre ».

Le jeune cerveau s’enrichit par bien d’autres voies que l’enseignement de l’adulte : observer, écouter, imiter et surtout expérimenter, dans le quotidien de la vie familiale ou dans la cour de récréation ! Alison Gopnik déplore que l’école, comme les parents, laissent trop peu l’enfant jouer librement et imposent trop les jeux. Or le jeu en liberté améliore la plasticité cérébrale ; en outre, l’enfant qui joue à « faire semblant » avec ses compagnons imaginaires développe sa capacité à se décentrer, à comprendre les désirs et émotions d’autrui, tout comme à gérer l’inattendu. Il en va de même avec les histoires qu’il aime à lire ou écouter. L’auteur fait procès à l’école car « être le meilleur du monde aux examens n’aide en rien à découvrir de nouvelles façons de réussir dans le monde ». Multiplier les opportunités d’apprentissage serait plus fructueux que des heures de cours supplémentaires « même en Terminale » ajoute-t-elle.

 

Nullement pessimiste quant à la crise d’adolescence — « désordre chaotique » qu’il faut juste surveiller —,  l’auteur ne l’est pas davantage vis-à-vis du numérique car  « la génération numérique fabriquera son propre monde et trouvera comment y vivre ». Mais ne nous méprenons pas : A. Gopnik ne sacrifie pas au culte de l’enfant-roi, tyrannique et ingérable ; elle rappelle avec raison qu’élever un enfant constitue un engagement à vie, un attachement sans retour sur investissement, et non une réussite personnelle. On ne le prépare pas pour la société actuelle mais pour un monde dont nous ignorons tout. Sa seule chance d’y réussir c’est que ses parents l’aient aimé pour lui-même et lui aient donné assez confiance en lui pour s’adapter sans appréhension.


 

• Alison Gopnik. Anti-manuel d'éducation. L'enfance révélée par les sciences. Traduit par Mirabelle Ordinaire. Le Pommier, 2017, 379 pages.

 

Chroniqué par Kate

 

 

Tag(s) : #ESSAIS, #EDUCATION, #SCIENCES SOCIALES
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