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Tout à l'opposé des nouvelles de Kipling où les Anglais brillent par leur insistante présence en Inde, le récit de voyage de Pierre Loti est une pérégrination en Inde sans y rencontrer le moindre Anglais. Initialement publiés en 1903, ces voyages sont dédiés aux Boers en lutte contre les Britanniques ! L'Entente Cordiale viendra peu après...,

Loti se rend chez le Maharajah de Travancore pour lui remettre une décoration française — prétexte de son voyage. Ses déplacements à travers le sous-continent commencent à Ceylan, se poursuivent dans le sud de la péninsule qu'il appelle l'Inde des Palmes, avant de remonter par le train dans l'Inde de la Faim et finir symboliquement à Bénarès car le périple est orienté par la quête spirituelle.

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Même si on retient d'abord les amples descriptions de la nature, où se déploie un style à la limite de la surcharge qui fait penser à bien des constructions de prestige de la Belle Epoque, on sera ravi de visiter une multitude de palais anciens, et de temples où l'écrivain-voyageur dit qu'il recherche une spiritualité propre à combler ses attentes.

En même temps, tout un peuple vit dans le regard de Loti. En ville, il est frappé de la finesse des robes colorées qui cachent peu les formes des femmes, de la semi-nudité des brahmanes comme des sans-caste, de la nudité des sâdhus couverts de cendres – qu'il qualifie de fakirs. Il est ébloui par le spectacle d'une bayadère qui danse et chante en sanscrit, à Madura. Il visite deux écoles, dont celle de Pondichéry où il admire le français des enfants. Il constate la différence des castes, la proximité du luxe insolent et de la misère extrême.

Il y a tout un catalogue de visites à faire en suivant le guide charentais : Hyderabad qui attend le retour du nizâm, Odeypour (Udaypur), Gwalior, Golconde vaincue par Aurangzeb, le Taj Mahal... Dans cette époque sans éclairage électrique, ses parcours privilégient les couchers de soleil sur les murailles des palais et des temples. Une cité ensevelie à Ceylan, Anuradhapura surgie de la jungle, lui offre un témoignage monumental du bouddhisme en début de son périple ; son pendant, près de Bénarès, est un banc où Bouddha s'est assis jadis.

 

Temple de Vishnou, Srirangam près de Tiruchirappali.

 

Mais ce sont les temples hindouistes qui l'attirent le plus, ainsi que leurs fêtes religieuses : « Les idoles de Pandavas, hautes de trente pieds, aux têtes nimbées de rayons, aux figures d'épouvante, aux yeux féroces abaissés vers les hommes, ont été, pour la circonstance, tirées de l'ombre des sanctuaires secrets… » Des temples pyramidaux et entièrement sculptés et peints évoquent l'Egypte des Pharaons. Une procession à Chri-Ragam (Srirangam) autour du temple de Vishnou, le captive : voici des « éléphants sacrés, qui s'agenouillent d'eux-mêmes près du char pour recevoir leurs belles robes brodées, leurs têtières garnies d'or et de perles », voici le char, une « machine colossale » tirée par des centaines de bras, trois heures durant.

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Loti a une propension à faire de la description architecturale un spectacle impressionnant. Des temples pyramidaux abritent des salles énormes qui ont l'air de « caveaux cyclopéens ». Un lac carré de huit cent mètres de côté, bordé d'escaliers, est destiné à faire naviguer la barque de Shiva autour d'une île carrée : ce n'est qu'un « palais de féérie ». Epouvantables grottes ici, effroyable sanctuaires là : Shiva, Vishnou, Ganesh sont de la partie.

Le parcours dans l'Inde affamée est parfois plus poignant. La famine sévit dans l'Inde de 1900 (cf. Mike Davis, Génocides tropicaux, carte de 1899-1902). La jungle est morte de la sécheresse : trois ans d'absence de mousson d'été. Les paysans mourants de faim s'entassent à la ville : le maharajah nourrit les sangliers de son parc avec des sacs de maïs acheté à grand frais. Aucune aide ne vient secourir les hommes affamés... 

La quête spirituelle semble relancée à Madras avec la rencontre des théosophes d'Annie Besant ; elle paraît plus marquante à Bénarès avec la rencontre de Sages, religieux et philosophes. Mais le profit qu'en tire l'auteur ne nous est pas dévoilé. Il a seulement indiqué le chemin...

 

• Pierre Loti. Voyages en Inde. Arthaud, 2015 , 404 pages. [Calmann-Lévy, 1903].

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #RELIRE LES CLASSIQUES, #VOYAGES
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