Le roman se passe en grande partie dans la Mata Atlantica, à deux heures de voiture de Rio. Mariana et Paulo y possèdent chacun une villa, mais seule Mariana y habite. Vingt ans auparavant elle se livrait à la peinture abstraite dans un atelier à Rio. José, son frère cadet, enseignait les lettres à l'université et menait une intense vie mondaine. Paulo, jeune galeriste, et José avaient le projet de vivre ensemble, c'est ainsi qu'une immense villa conçue par Paulo s'éleva près de celle de Mariana. Le drame qui survint décida Mariana à rompre avec son ancienne vie et à venir s'installer dans sa maison de la Mata Atlantica, abandonner l'abstraction et se consacrer à l'illustration botanique. Les faits se découvrent au lecteur par petites doses disséminées dans l'ensemble du roman. L'incipit fait état du décès de José. Les détails viendront plus tard, par petits paquets en suivant l'état d'esprit des personnages, qui, à un moment ou un autre auront tous le sentiment d'avoir raté leur vie.
C'est un accident de la route qui a tout déclenché. Mariana conduisait, José somnolait aux places arrière. Paulo, le galeriste était donc passager à la place du mort. Dans la collision provoquée par une maudite voiture rouge, survenant à toute allure c'est José qui mourut. Paulo fut blessé au visage et vingt ans plus tard son front portait toujours la double cicatrice dont Manu, la photographe qu'il employait, ignorait l'origine jusqu'à cet étrange week-end qui forme la durée du roman.
Mariana doit honorer une commande de peinture de fleurs, dont une bromélie de la forêt proche. Lui manque un tube d'une certaine couleur et comme elle n'a pas envie de descendre en ville et se perdre dans des embouteillages, Paulo lui envoie sa précieuse couleur par Manu qui vient en bus. Un voisin, Ramiro, installe Manu pour la nuit dans la villa du galeriste et le dimanche matin Manu et Mariana feront connaissance.
La maladie dont souffre Manu occupe une large place dans l'histoire. Gravement diabétique, ses analyses ne sont pas bonnes et la spécialiste qui la suit prévient Paulo qu'elle veut la voir d'urgence à l'hôpital pour une hémodialyse. La relation entre Manu, 24 ans, et Paulo, environ 50, est quasi-familiale. Il la connaît depuis toute petite quand il habitait l'immeuble de la grand-mère de cette fille dont les parents résident à l'étranger. Avec la menace de cette maladie, Manu doute de pouvoir se faire un nom dans la photographie.
L'intérêt du roman, magnifiquement écrit, réside principalement dans la description de la retraite de Mariana, dans les événements psychologiques produits par la montée de Manu puis de Paulo jusqu'aux villas de montagne. Tout se passe comme si Mariana reprochait à Paulo d'avoir survécu à l'accident où José avait trouvé la mort. Ce n'est bien sûr pas dit explicitement, mais on sent bien à l'attitude de Mariana la raison de son manque d'enthousiasme quand Paulo annonce sa venue inopinée. L'écriture, très travaillée, d'Adriana Lunardi fait penser à Clarice Lispector — vue sur la plage de Copacabana avec sa machine à écrire portative — et auteure du très prenant Bâtisseur de ruines — et sans doute aussi à Virginia Woolf à qui il est fait allusion pour Vagues.
Corps étranger est le premier roman de l'auteure, née en 1954 dans le Santa Catarina. Elle a aussi publié des nouvelles comme Vespéras, en 2005 chez le même éditeur français.
• Adriana Lunardi. Corps étranger. Traduit par Maryvonne Lapouge-Pettorelli. Éditions Joëlle Losfeld, 2015, 271 pages. [Corpo estranho, 2006].