L’émigré clandestin devient aujourd’hui, hélas un personnage de roman comme Clovis Nzila, victime des forces du mal qui ont réduit au silence les esprits des ancêtres, voix de l’amour et de la vie. Elles se sont emparées du coeur des hommes, désormais acteurs des pires tragédies, en Afrique ou à Paris. Pourtant une fleur d’amour et de sensualité parfois éclôt. Clovis vit deux folles nuits avec Christelle... une jolie romance sans lendemain. La fallacieuse quatrième de couverture évoque une « douce ballade mélancolique » et tait le roman noir, parfois éclairé de rêve et de magie.
Né laid et chétif quand sa jumelle Marcelline incarnait la beauté noire, haï de leur grand-mère, Clovis « au berceau avait déjà soif de vengeance et de sang. » Seule sa soeur l’aimait et leur enfance incestueuse restera son plus beau souvenir. Privé d’amour, la haine au coeur, le garçonnet rejoignit les milices, à la libération, lorsqu’éclata la guerre civile. » Frustré et revanchard » Clovis connut le bonheur, kalachnikov à la main : il en imposait, on le respectait, il existait : « J’ avais régulièrement le loisir de jouir de ma méchanceté, d’apprécier pleinement la douteuse satisfaction de l’exercice du pouvoir sur autrui. »
Réfugié clandestin à Paris, dans les bras de Christelle, Clovis crut retrouver Marcelline ; c’étaient « deux solitudes qui se cherchaient », deux jeunes au passé fracassé. Comme « personne ne s’était jamais intéressé à [lui] », Clovis se confia à l’aide soignante, dépressive, solitaire, jadis violée par son beau-père. Elle l’écouta avec compassion et se garda de le juger. Clovis, à la fois « bourreau et victime dans une même âme », regrettait ses anciennes exactions. Mais même s’il croyait que les esprits de ses ancêtres lui envoyaient un bon signe, leur bulle de bonheur éclata car le mal s’est ancré au coeur des hommes : miliciens, policiers, responsable d’association d’aide aux réfugiés, ceux qui détiennent du pouvoir tuent, incarcèrent, violent .
Dans ce roman, N’Sondé convoque les plus sombres nuées des drames humains ; mais une éclaircie peut toujours les repousser. Son message d’espoir ne suscite pourtant guère l’enthousiasme du lecteur.
Chroniqué par Kate
• Wilfried N'Sondé. Le Silence des esprits. Babel, 2018 (Actes Sud, 2010). Du même auteur ont été ici chroniqués Fleur de béton et Un océan, deux mers, trois continents.